Vipère au poing
6.8
Vipère au poing

livre de Hervé Bazin (1948)

La violence envers les enfants, quoi de plus atroce ? Torturer physiquement et psychologiquement un bambin, rien que d’écrire cela, mon sang se glace. Hervé Bazin a décidé de narrer son enfance, marquée par les gifles et les humiliations orales de madame sa mère, surnommée Folcoche, sous couvert l’indifférence benête et lâche de son père.

D’emblée, on pense à un huis-clos, et on angoisse immédiatement à l’idée de partager les douleurs de Brasse-Bouillon, surnom de l’enfant narrateur, d’assister à ces insoutenables tortures adressées à un enfant impuissant et prisonnier de sa génitrice. C’est perturbant, dérangeant, on imagine le pauvre bougre sorti vivant de cet enfer qui accepte de rouvrir ses cicatrices pour satisfaire le voyeurisme pervers d’un lecteur en quête d’émotions intenses. Le spectateur est averti et pris de pitié pour l’auteur, et c’est la gorge serrée et les mains moites qu’il s’apprête à visionner le summum de l’atrocité : la torture infantile.

Bon, il y a bien quelques claques, partagées entre le narrateur et ses deux frères, mais pas bien plus. Une autorité (ou plutôt un autoritarisme) extrême de Folcoche envers ses rejetons, les habillant au faîte de l’austérité et les forçant à entretenir l’extérieur comme seul loisir, mais à part ça (bien que ce n’est pas non plus ce qu’on attend de l’amour d’une mère, je le conçois), rien de bien violent. Je ne peux pas ressentir beaucoup d’empathie envers des enfants de gens fortunés, qui vivent dans une énorme demeure, je trouve que le sujet de la maltraitance est infiniment plus pertinent lorsqu’il est couvert de pauvreté (Cosette, évidemment).

Bon, pour les émotions horrifiques liées à la violence envers les enfants, on repassera. Le traitement des enfants dans L’Assommoir, bien que traité de manière secondaire, est cent fois plus terrifiant (je fais encore des cauchemars à propos d’Eulalie). Je trouve le petit Vévert pas si abusé que ça, il a quand-même sa chambre, ses vêtements, sa toilette et un accès à l’éducation (le priver de chauffage en hiver est tout de même plutôt inhumain). Il peut aussi compter sur son père, bien que celui-ci, plus passionné par ses mouches que par ses enfants, soit un pleutre fini, véritable analogie de la mante religieuse, la femelle dévore le mâle.

Vévert s’en vante même d’ailleurs, d’être traité ainsi. Les abus qu’il subit sont un prétexte pour faire étalage de son orgueil, pour couvrir de fleur sa personnalité pugnace. A travers ses nombreuses éloges envers lui-même, Hervé Bazin nous montre à quel point il est fier d’avoir vécu tout ça, il remercie même sa mère (et la génétique) pour la combativité atavique qui l’a poussé à devenir ce qu’il est. Ces vantardises m’embêtent un peu, pas parce ce que ce sont des vantardises, mais parce qu’elles sont redondantes et épuisent le souffle pourtant bien présent lors de la première partie du roman.

Déception donc au niveau du traitement du sujet de l’abus envers les enfants, et indigestion de pétales de roses à cause des innombrables louanges que Vévert s’administre. Néanmoins, si l’on excepte quelques longueurs, le roman est admirablement bien écrit, il n’y a pas un passage qui se ressemble au niveau de la forme, ça se lit de manière extrêmement agréable. La narration regorge de pépites sémantiques ou autres tournures de phrases inspirées qui régalent les yeux et l’esprit.

Certains passages sont aussi admirablement maîtrisées, je pense à la tentative maladroite de meurtre envers Folcoche sur la barque ou à l’enfermement de Brasse-Bouillon dans sa chambre et aux conséquences qui en découlent.

En résume, forme très bonne mais fond pénible.

Ubuesque_jarapaf
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le 4 sept. 2022

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