Voici un livre bien compliqué à présenter tant il est multiple, foisonnant et sombre. C'est l'histoire d'une autrice alcoolique qui devient prête-plume pour un auteur célèbre afin de payer son alcool. Un jour, elle rencontre un homme et de cette rencontre né plusieurs histoires. Le livre est entièrement écrit à la première personne du singulier mais c'est un "je" multiple, le point de vue change à chaque chapitre au point que l'on ne sache plus qui parle parfois. Sarah Haidar fait parler plusieurs personnages mais aussi un rat, une araignée ou encore le Terre elle-même. Ce qui compte ici ce sont les mots, les phrases, l'effet qu'elles font sur le lecteur et l’extrême violence qu'elles portent.
La rencontre entre un homme et une femme se fait toujours dans la violence car elle n'est rien d'autre qu'une intrusion intolérable dans l'univers de l'autre, une atteinte à sa solitude, un viol, une humiliation.
p17
La première chose qui m'a marqué ce sont les mots de Sarah Haidar. Sa langue est sublime et percutante. Parfois je me suis prise à le lire à haute voix juste pour entendre encore mieux le choc de ses mots. On sent chez elle une grande liberté et une forme d'urgence. Elle va d'une idée à une autre, d'une personnage à un autre sans laisser au lecteur le temps de souffler. Même les moments les plus sombres sont portés par une poésie envoûtante.
Moi, la terre déçue, assoiffée, grisée avec le sang des anonymes mais surtout avec les noms des corps émiettés ; baignés dans le crachat des idéologies mourantes, vainquant tout de même la minable vivacité des révolutions acnéiques qui naissent et meurent au coin d'un bière...
page 151
Le livre est une parabole de la littérature et de la création. Elle nous donne à voir la sueur, les chairs tourmentées et l'esprit torturé par le processus d'écriture. Son personnage d'autrice écrit sans ponctuation, préférant livrer des mots en un flot continu pour mieux percuter ses lecteurs. Et justement les réactions face à ses textes sont violents. Ses mots qui tournent autour du néant poussent d'autres hommes ou femmes à côtoyer ce vide là. Sa violence de papier pousse au mal les âmes sombres. Sa littérature est un poison qui porte des rêves d'absolus ou de la poésie mais aussi des désillusions et de la colère. Le texte est le révélateur de la nature enfuit ou refoulé du lecteur. Ce dernier prend alors conscience de sa part la plus sombre. Sarah Haidar laisse à son lecteur le soin de tirer les conclusions qu'il souhaite. Il n'y a pas de clefs aux problèmes qu'elle soulève, juste des invitations à la réflexion. Elle question sur la force de la littérature et sur son pouvoir subversif. Pour elle, c'est le dernier espace de liberté que nous ayons.
L'impensable...Justement il faudra penser de temps à autre à le penser, ce putain d'impensable !
page 83
Les criminels de ce livre commettent les atrocités les plus abjectes mais sont traités avec une forme d'empathie et de poésie qui empêche l'ensemble de tomber dans le gore. Sarah Hairah a une voix singulière et percutante. Elle nous propose un "presque roman" comme pour mieux s'affranchir des genres codifiés et clamer sa total liberté. Car c'est aussi cela qui ressort de se texte, la force émancipatrice des mots.