Dès l'entame de ma lecture, j'ai pensé au texte écrit par Julos BEAUCARNE (Poète et chanteur belge) le lendemain de l'assassinat de Loulou, sa femme bien aimée, assassiné de 17 coups de couteau donnés sans raison apparente.. Il faut s'aimer à tort et à travers, disait-il alors... Lettre pudique mais ô combien forte. Pour Julos non plus, la haine ne devait pas prendre la place première et occulter la faiblesse d'un monde alors que la première nécessité devait être de vouloir dès la sortie de l'attaque, le reconstruire, encore plus beau. Mais, il est vrai, Julos était seul. Ici, il y a eu des dizaines de victimes. La France, le Monde ont été touché en pleine face. Peut-on, dès lors, accepter ce refus de déversement de toute la haine du monde blessé à jeter sur les épaules des fous qui ont commis l'irréparable?
Alors, que dire de ce livre? Peut-on noter un livre qui relève du témoignage plus que du roman mais qui romance les faits en les réduisant, de facto, à la perte d'une personne et à la manière dont le mari-papa réagit à la mort de son épouse et au besoin pressenti chez le fils de 17 mois qui ne pourra qu'un jour vouloir tout comprendre? Sera-t-il possible de lui présenter les faits comme atomisés, réduits à la destruction d'une cellule familiale sans aucune référence aux mouvements sociaux qui ont été le terrain de prédilection de l'advenue de ce jour noir parisien? Qu'elle sera la place pour les autres victimes? Pour la réaction de tout un chacun devant ce drame? L'auteur a choisit de nous entraîner dans un huis clos à ciel et tombe ouverts. Comment gérer cette fatalité, ce passage de la mort indistincte qui frappe à l'aveugle et sans raison? Faut-il, pour tenir le coup, stigmatiser l'autre, le terroriste, le kamikaze comme étant le seul fautif sur qui il faut déverser toute notre haine? Qu'est-ce que cette haine déversée apportera au papa, à son fils, dans la relation d'amour qui les unissait et continuera à les unir? Faire la place belle à l'autre, ce belligérant se revendiquant Fou de Dieu, le nimber de toute notre haine, n'est-il pas se décharger des sentiments durs, négatifs qu'il faut gérer et fuir la nécessité de s'interroger sur tous les sentiments positifs qui, même au coeur des situations catastrophiques, tournent une page pour en écrire une nouvelle, une page encore porteuse d'à-venir, de futur, de réalisations, de complicités et de foi en l'Homme?
Je pense qu'il faut accueillir la réaction de l'auteur, comme celle qui lui est vraie et donc impossible à juger puisque personne ne peut revendiquer avoir vécu la même blessure, la même perte, la même peur. Il nous faut donc, humblement, accepter de nous nourrir d'une parole vraie, une parole qui questionne, qui interpelle et qui se plante là, au milieu du politiquement correct, à dire ou taire, faire ou ne pas faire ce qui conviendrait pour tous dans le cas de ces situations catastrophes pour lesquelles l'âme humaine n'est pas - et ne sera jamais - préparée.
Il faut reconnaître à un papa meurtri le droit de choisir de faire équipe avec son fils et de mener le combat tel qu'il l'entend. Il faut reconnaître les mécanismes de sur-vie que d'aucuns peuvent développer pour être à la hauteur des attentes de nos enfants orphelins bien malgré eux.
Un témoignage qui n'appartient qu'à l'auteur, Antoine LEIRIS, mais qui peut aider chacun à cheminer sur ses propres chemins de deuils et de reconstructions. Un témoignage qui invite à s'essayer à d'autres chemins que la Haine... Un témoignage utile donc, de la plus haute importance!