Il n'y a pas à dire, les vide-greniers de campagne ont toujours du bon.
Je ne vous dis pas ma surprise lorsque j’aperçus sur le stand de Josette, entre deux livres de Danielle Steele, un exemplaire flambant neuf de Watership Down.
Le cœur battant, la sueur aux tempes, je demandais à Madame le prix.
Dix-neuf euros de moins qu'en boutique.
Ni une ni deux, je me suis jeté dessus, et suis reparti en courant, de peur que Josette se rende compte que ma plus-value était trop importante pour être véritablement honnête.
À bout de souffle, je croise Hervé et ses amis à la buvette, en train de déguster une galette-saucisse avec des frites. Il me demande de quoi parle mon livre.
"De petits lapins."
Hilarité générale.
Comment lui expliquer qu'il ne faut pas se fier au synopsis d'un livre ?
"Watership Down" raconte la croisade du lapin Hazel.
Ce dernier coule des jours plus ou moins heureux à l'abri dans sa garenne, en compagnie de son frère Fyveer.
Un beau jour, ce dernier est assailli de visions apocalyptiques. Leur habitation serait au bord de l'anéantissement.
La fuite ne peut attendre. N'arrivant à convaincre leurs semblables, c'est accompagné seulement d'un petit groupe de lagomorphes apeurés que Hazel partira dans l'espoir d'une vie meilleure. Nombreux seront les obstacles sur leur chemin.
Parce que oui, quand on est assez bas dans la hiérarchie de la chaîne alimentaire, il ne suffit pas d'un peu de prudence pour arriver au bout de ses peines. Trouver un endroit sécurisé pour soi et sa famille est un chose. Assurer la pérennité de celle-ci est une autre.
Dans le domaine de l'épique et de la fantasy, je ne suis que peu touché touché par les standards du genre. Les tâches herculéennes ou les scènes de grande bataille me paraissent souvent trop attendues pour être véritablement prenantes.
Pourtant "Watership Down" abordera bien des lieux communs de ce genre de littérature. Seulement, il le fera en mettant le lecteur dans une perspective nouvelle.
Désormais situé au ras du sol, parmi une population faussement familière, le lecteur assistera à la construction d'un univers savamment recherché.
Au-delà de la progression narrative, des revers et des victoires qu'arracheront l'équipe, c'est tout une mythologie qui va s'assembler. Ceci notamment grâce au coup de force de l'auteur d'introduire en contraste avec les aventures de Hazel des légendes issues de la mythologie propre au monde des lapins.
Nous découvrons ainsi leur héros mythique, Shraavilshâ. Entité légendaire dont la ruse n'a d'égale que l'audace, ses aventures serviront autant à réchauffer le cœur de ses semblables, que d'introduire le lecteur à un univers diablement attachant et pittoresque.
Cerise sur le gâteau, c'est aussi un nouveau langage que nous découvrirons.
Pourtant, est-il suffisant de décrire le livre comme étant une quête épique savamment ciselée ?
"Watership Down" est surtout une fuite en avant frénétique, se déroulant dans l'imminence d'un danger permanent. Les lapins ont des ennemis partout, et aucune magie ne peut secourir une proie aussi fragile. Les victoires seront éprouvantes à obtenir, et ne dureront jamais longtemps : un terrible revers est presque toujours caché au coin de la phrase.
C'est vers la fin de la première partie que j'ai ressenti en pleine figure toute la puissance et la noirceur du livre.
Ne vous attendez pas à une ballade en forêt. "Watership Down" est un univers où les personnages survivent plutôt qu'ils ne vivent. Cette insécurité permanente ne nous rivera que plus intensément à la plume de Richard Adams.
Au passage, j'ajouterais que j'aime particulièrement la nouvelle traduction française. Certains noms originaux sont gardés, d'autres non. Les sonorités semblent avoir été privilégiées face à la rigueur, et je trouve que c'est un excellent choix. La langue est fleurie (littéralement) et mélodieuse, on aurait presque envie de réutiliser les termes lapinesques dans la vraie vie.
Mais comment voulez-vous expliquer tout ça dans une buvette, entre deux galettes-saucisses ?!
Tant pis. Pour la crédibilité, je repasserais plus tard.