Wild Cards ouvre les portes de l’uchronie en nous racontant l’histoire des États-Unis après l’arrivée d’un virus extra-terrestre en 1946, qui confère aux victimes soient des mutations (les Jokers) ou des super-pouvoirs (les As). Sous la direction de George R.R Martin, qui n’avait en 1986 pas encore écrit la saga du Trône de fer qui le rendra célèbre, l’ouvrage réunit de nombreux auteurs de science-fiction participant avec leurs nouvelles respectives à bâtir l’univers Wild Cards. Cependant, malgré les nombreuses plumes réunies, le projet ne brille pas par sa qualité. Si la moitié des nouvelles proposées reste agréable à lire (Le témoin, Rites de dégradations, Powers, Partir à point, La fille Fantôme à Manhattan, Ficelles, La venue du chasseur), le reste oscille entre oubliable (Capitaine Cathodes et l'As clandestin, Transfiguration) et extrêmement moyen, voire mauvais (Trente minutes sur Broadway, Le dormeur, La sombre nuit de Fortunato, Au tréfonds).
Si sur le papier, l’anthologie semble une bonne idée pour développer un univers qui se veut étendu des années quarante aux années quatre-vingts, à la lecture il n’en est rien. On ne peut s’empêcher de ressentir un sentiment de rafistolage pour créer du lien entre les différentes nouvelles, donnant lieu à des répétitions inutiles et une impression d’artificialité. Si on ajoute à cela certaines nouvelles qui n’apportent pas grand-chose à l’univers, et qui auraient mieux fait d’être supprimées étant donné l’alourdissement qu’elles procurent, *Wild Cards* aurait gagné à être présenté sous la forme d’un roman à plusieurs personnages (comme le sera *Le Trône de Fer*), ou en un recueil de quatre ou cinq nouvelles longues maximum. En effet, le récit anthologique vient en fait handicaper l’univers, qui ne se décline qu’en plusieurs fragments à l’intrigue trop courte ou pas assez développée. Cela ressort encore plus dans les bonnes histoires de l’ouvrage dont les péripéties se résolvent trop facilement, la faute à la forme nouvelliste. Tout cela est d’autant plus dommageable quand certaines histoires proposent une dimension uchronique fort intéressante : les As, au service ou bien contre la politique des États-Unis durant la Guerre Froide.
Malheureusement, ces nouvelles réussies ne peuvent rattraper à elles seules celles qui à l’inverse sont peu intéressantes ou mauvaises. *Trente minutes sur Broadway*, la première nouvelle, venant présenter un personnage qui sera nommé de nombreuses fois par la suite Jetboy, échoue à donner au personnage de la présence. La faute à une histoire se voulant d’abord fonctionnelle (présenter l’arrivée du virus), s’oubliant alors elle-même, à une narration chaotique alternant de trop nombreux points de vue, et une écriture trop scolaire. *Le dormeur*, où l’auteur ne semble pas savoir quoi raconter (tant le personnage principal passe son temps à aller manger et acheter des vêtements), où des sous-intrigues n’ont aucune conclusion, et où l’écriture et les dialogues sont plats et sans saveur. *La sombre nuit de Fortunato*, qui pourrait se résumer à une parodie de Lovecraft croisée à un mauvais roman érotique. Enfin, *Au tréfonds*, digne d’une fanfiction. Notons cependant que les *interludes* disséminés au nombre de cinq dans l’ouvrage (composés par Martin lui-même), et qui proposent des sortes de compte-rendus sur l’univers se trouvent tout de même réussis, en particulier le premier sur la période du Maccarthysme, où les as remplacent les communistes.
Ainsi, malgré son postulat de base original, Wild Cards peine à convaincre. Si on appréciera une bonne moitié de l’ouvrage et son mélange des genres (espionnage dans *Powers*, roman noir dans *Partir à point*, politique dans *Le témoin* et *Ficelles*, etc.), l’autre moitié nous laissera de marbre. Au vu du potentiel dont dispose l’univers, on espère que la suite est capable de l’exploiter et de se démarquer de ce premier tome qui pourra bénéficier de l’excuse de la première publication pour justifier sa qualité moyenne.