J’ai voulu lire Yoga parce que j’avais beaucoup aimé un des romans précédents d’Emmanuel Carrère, Le Royaume. Yoga est un récit que j’ai pris plaisir à lire : Emmanuel Carrère écrit bien, le style est fluide et le propos n’est pas sans intérêt. J’ai particulièrement apprécié la première partie, principalement consacrée à la description d’un stage intensif de méditation, dans laquelle on sent affleurer une pointe d’ironie non dénuée d’humour. J’ai donc, en somme, passé un bon moment avec ce livre.
L’impression qu’il me laisse a posteriori est bien plus négative. Si la description de la douleur et du mal-être est convaincante, l’ensemble du récit, entièrement tourné vers le narrateur relève du plus complet des narcissismes. Ce que l’auteur admet d’ailleurs bien volontiers dans son texte. Ce qui me déplaît, c’est que j’y vois le message d’un homme qui veut nous dire, la tête haute, regardez, je suis encore là ! Il tient manifestement à ce que le lecteur sache qu’il séduit encore, qu’il satisfait les femmes au lit, qu’il a de l’argent : ces thèmes reviennent à plusieurs reprise dans Yoga. Nous voilà rassurés. J’ai lu que l’auteur se mettait à nu dans cet ouvrage avec une sincérité touchante. Peut-être, mais comment le savoir ? Cet ouvrage, c’est lui qui l’écrit, avec toute sa subjectivité, c’est lui qui a choisi ce qu’il écrivait sur lui-même et ce qu’il n’écrirait pas. Il ne se met donc pas à nu, et ce qu’il a choisi d’écrire révèle, me semble-t-il, ce qu’il veut communiquer au lecteur, à savoir : je bande encore et j’ai du fric. C’est un peu court.
Je suis de plus agacé par l’impression qu’Emmanuel Carrère évolue dans un petit milieu parisien dans lequel, quoi qu’il écrive, il trouvera des louanges. Cela explique sans doute, en dehors des polémiques conjugales qui ne m’intéressent pas, l’accueil si bienveillant que la critique a réservé à ce texte qui n’est vraiment pas le meilleur de cet auteur.
Finalement, comme je l’ai dit, j’ai passé un bon moment à lire Yoga, mais j’aurais certainement gagné à utiliser ce temps à découvrir un autre livre. Emmanuel Carrère a un vrai talent d’écriture et il est beaucoup plus convaincant lorsqu’il explore un thème autre que lui-même, même en s’y mêlant intimement, comme il l’a fait dans Le Royaume ou dans Limonov.