Un jeune homme un peu trop sensible qui se demande ce qui le différencie des autres garçons, bagarreurs et cruels, et qui s’inquiète jusqu’à l’angoisse pour sa mère qui noie son chagrin et sa solitude dans l’alcool, un père aux abonnés absents, le tout dans les banlieues ravagées de Glasgow ruinées par le chômage de masse qui suit les années Thatcher. Bien sûr, vous avez déjà lu ce livre : c’est Shuggie Bain, le premier roman de Douglas Stuart. Et si c’était plutôt Young Mungo ?
L’histoire se répète, c’est indéniable, et on passe les premiers chapitres de Young Mungo à compter les points communs et les différences : Mungo est un peu plus âgé, et s’il a bien lui aussi un frère et une sœur, leurs caractères semblent inversés par rapport à ceux de Shuggie. Quant à Mo-Maw, la mère de Mungo, Hamish et Jodie, elle n’a certes pas la beauté fanée d’Agnes et est vouée, dès le départ, à être un personnage moins imposant, mais elle partage à peu de choses près le même destin.
C’est là que se joue le grand saut en avant que constitue Young Mungo pour Douglas Stuart, en dépit de cette continuité : la relation entre Shuggie et sa mère dévorait tout le reste, tandis que la relative indépendance de Mungo par rapport à Mo-Maw lui permet d’ouvrir les perspectives du roman. Young Mungo est un livre plus densément peuplé, où apparaissent des personnages secondaires touchants qui existent mieux ici que dans Shuggie Bain, à commencer par les frères et sœurs de Mungo et ses voisins, parmi lesquels le vieux célibataire du rez-de-chaussée et James, le garçon aux grandes oreilles délaissé par son père qui compense en s’occupant de pigeons… On sort même de Glasgow : Jodie, la sœur de Mungo, pour des escapades amoureuses qu’elle croit durables, et Mungo lui-même pour un week-end de pêche avec deux inconnus qui sert de fil rouge à une construction narrative à plusieurs tempos. Lorsque la violence se met à irradier les paisibles paysages du loch écossais, ce fil secondaire du récit prend des airs de roman-de-chez-Gallmeister, du genre David Vann ou Gabriel Tallent : à peine a-t-on le temps de s’emplir les poumons de l’air pur qu’un bon coup sec dans le diaphragme nous fait tout recracher.
Dans tous les sens du terme, Mungo va donc plus loin que Shuggie - en vivant sa première histoire d’amour, en découvrant d’autres horizons - et permet à Stuart de s’essayer à d’autres formes de tension narrative, de tester lui aussi ses limites. Pour l’auteur, c’est une réussite ; pour son personnage, la chute n’en est que plus cruelle : le mince espace de liberté que conquiert Mungo finit toujours par le mener à un cul de sac, comme lorsque lui et James décident de partir en vélo en choisissant une direction au hasard, et se retrouvent face à la prison où dorment tant d’hommes de leur voisinage. Partout se dressent des murs qui sont autant de déterminismes et d’injonctions sociales, que Stuart illustre à nouveau avec précision mais sans démonstration, avec ce talent particulier pour donner une place et une voix juste au sentiment individuel, quand bien même celui-ci est une simple et modeste occurrence d’un système implacable.