« Écrire est la seule ruse efficace contre la mort. Les gens ont essayé la prière, les médicaments, la magie, les versets en boucle ou l’immobilité, mais je pense être le seul à avoir trouvé la solution : écrire ».
Zabor a un don. On fait appel à lui « pour contrer la dernière page d’une vie avec la première page écrite de [sa] main ». En écrivant, il prolonge l’existence de celui dont il couche l’histoire sur les lignes de ses cahiers. Dans son village perdu à la frontière du désert, il est une bête curieuse : 30 ans, célibataire, vierge, non circoncis, mère morte en couches, rejeté par son père sur l’insistance de sa belle-mère, élevé par sa tante dans une grande maison vide auprès d’un grand-père mutique, Zabor ne mange pas de viande, dort le jour et sort la nuit.
Un soir, l’un de ses demi-frères vient le chercher. Leur père est au plus mal et lui seul peut retarder l’échéance. Mais arrivé près du mourant, le garçon est incapable de trouver les mots. Pour la première fois, il hésite et se demande s’il doit exercer son don et sauver la vie de celui qui l’a abandonné.
Kamel Daoud compose une fable habitée par le monologue intérieur fiévreux d’un homme trouvant dans la force des mots un remède à l’ignorance et à l’obscurantisme. La narration est dense, heurtée, gonflée par « le torrent d’un récit unique, sans queue ni tête, qui emporte dans son cours violent des murs, des portiques, des odeurs de café moulu ou des mystères d’aisselles féminines, des couleurs de robes, des amandiers étincelant en jet d’eau pétrifiée, qui mêle des dates de naissance, des prénoms et des mains dans une crue totale et ravageuse ».
Un texte magnifique, traversé par de très belles pages sur l’éblouissement devant l’infinie diversité offerte par les livres, cette entrée dans « une sorte de terrain vague parsemé de nouvelles pierres ». Zabor est un roman engagé, politique, qui dit les pouvoirs de la lecture et de l’écriture, la richesse de la langue française face à la pauvreté de la langue vernaculaire, la supériorité de la littérature sur « le livre sacré » dont on apprend les sourates par cœur mais qui n’est « jamais expliqué, commenté ou raconté ». Un hommage à la force de l’imaginaire et à son absolue nécessité, aussi intense que puissant.