Ce recueil de nouvelles m'a donné l'occasion de découvrir Clark Ashton Smith, l'un des grands anciens de la fantasy dont il était devenu difficile de se procurer les œuvres en français. Poète, il traduisit entre autres Baudelaire pour le public américain. Écrivant principalement dans les années 30, il n'était pas de son temps : tout dans "Zothique" rappelle la littérature décadente ou "fin de siècle", aussi bien dans les thématiques abordées que dans le style, magnifiquement ciselé, voire précieux. Cette lecture m'a rappelé Jean Lorrain et ses contes macabres dont je m'étais délecté dans le recueil "Princesses d'ivoire et d'ivresse" publié en 1902... Il y a pire comme filiation !
Cités perdues, tombeaux royaux et catacombes, liches et momies, malédictions et nécromancie : voilà en gros le programme de ces seize nouvelles, toutes de très bonne facture. La corruption, la ruine, la mort, sont omniprésentes dans ces pages, et sous la plume élégante de Clark Ashton Smith les pires horreurs deviennent esthétiques. C'est un recueil qui ne se dévore pas mais qui se déguste. Impossible de le lire d'une traite. À vrai dire, j'ai rarement lu aussi lentement, non pas par ennui ou manque d'intérêt, mais parce que chaque mot nécessite d'être apprécié, et de nombreuses phrases méritent d'être relues pour mieux en goûter la beauté et la force d'évocation, comme un bon vin qui se garde longtemps en bouche. En outre, si la quatrième de couverture ainsi que plusieurs lecteurs mentionnent une écriture envoûtante, je ne pouvais imaginer que ce serait à ce point : de nombreux passages sont littéralement hypnotiques, si bien que je me suis surpris à rester de longues minutes sur la même page sans avancer dans ma lecture, car je m'étais laissé aller à rêvasser devant les mots imprimés sur la page... Quelle sorcellerie est-ce là ?
Saluons la belle initiative de Mnémos, qui dans une édition soignée remet à l'honneur un auteur qui mériterait de connaître la renommée de ses compères Lovecraft et Howard, même s'il est sans doute moins "facile" et donc moins susceptible de parler à un très large public. Sans avoir lu le texte original, on peut aisément imaginer que rendre en français le style si particulier de Clark Ashton Smith a dû être une sérieuse gageure. Un petit regret néanmoins : il aurait été intéressant d'avoir, pour chaque nouvelle, quelques informations la replaçant dans son contexte, avec les dates de rédaction et de parution, les éventuelles péripéties éditoriales, etc., à la manière de ce qu'a réalisé Patrice Louinet pour l'intégrale de R.E. Howard chez Bragelonne.
Ravi de cette découverte, il est certain que je garderai un œil sur les parutions à venir, consacrées aux autres univers créés par Clark Ashton Smith : Averoigne, Hyperborée, Poséidonis.