À l'origine, "la légende de la nonne" est un poème de Victor Hugo qui, en 24 strophes, chante l'aventure de la belle Doña Padilla del Flor qui, devenue religieuse dans un couvent, tombe amoureuse d'un brigand. Mais, au moment fatidique du rendez-vous des amants, Dieu les foudroie …
On entre ici dans le délicat domaine de l'interprétation puisque les voies de Dieu sont, parait-il, impénétrables. Pour certains, c'est parce que l'amour entre la nonne et le brigand est l'œuvre de Satan. Pour d'autres, c'est parce que Dieu, jaloux, sent sa proie (à lui, normalement destinée par la prise du voile) lui échapper.
Brassens ne reprend que 9 strophes sans changer le sens du poème.
Enfants, voici des bœufs qui passent
Cachez vos rouges tabliers
On peut s'interroger sur le sens de ces deux vers ; l'idée est simple puisqu'il s'agit de prévenir les enfants d'un danger. Ils portent des tabliers, symboles de l'innocence ou de la chasteté. Et il ne faut pas que les tabliers soient rouges au risque d'attirer vers eux les "bœufs qui passent". Sauf que c'est, en principe, les taureaux qui sont attirés par le rouge et non les bœufs…
J'aime beaucoup cette légende tragique où l'amour tente de triompher bien que la belle et pure Padilla soit cloitrée et que le brigand ne soit pas beau.
Il était laid, les traits austères
La main plus rude que le gant
Mais comme on sait, l'amour est aveugle et transcende tant de choses …
Quand j'écoute ce poème que Brassens a embelli avec des sonorités et des airs venus tout droit d'Espagne, je pense à tous ces romans mettant en scène des amours tragiquement séparés par la force des règles impitoyables du couvent. Il y a "Ramuntcho" de Pierre Loti où Ramuntcho tente en vain d'arracher Gracieuse à son couvent. Il y a aussi cet autre roman de Balzac "La duchesse de Langeais", histoire d'un amour manqué, cette fois par orgueil.