Cheval

https://youtu.be/OBBlIfUH9bY

Parce que tu me vois posé là, au calme, la distance comme masque sur le visage, abîmé dans ma contemplation, tu te dis que si la sérénité était homme, j’en serais, sans doute aucun, l’incarnation.

Sur la plage, il y avait un arbre avec un escalier en colimaçon.
Aux Caraïbes, la mer, tu peux la regarder des heures...
Partout où il y a la mer, tu me diras, mais aux Caraïbes, je sais pas, c’est mieux.
Tu te plantes, les tongs dans le sable, tu tires deux-trois barres et t'admires l’élégance de l’immensité, le roulis érotique des vagues, le vent aux mélanges d'embruns et de vapeur d'un poulet qu'on boucane, plus bas, là-bas, sauf qu’à un moment, quand même, tu te dis “sa race, j’ai soif”.
Et soudain, en fait, t’as raison, même à Oostduinkerke j’aurais soif.

Donc, comme je disais plus haut, sur cette plage, il y avait un arbre avec un escalier en colimaçon.
C'était un arbre plutôt grand. Pour le reste, te dire la marque, je sais pas. Je m'y connais pas trop en fleurs, je ne sais pas faire de différence entre la pelouse et le gazon. C'est une faiblesse, je sais que je ne serai jamais un être humain complet, que je pourrai jamais faire cueilleur pour me sustenter mais je m'en ballek, en fait.
Je sais juste reconnaître les sapins et ce n'en était pas un, il n'y avait pas la queue d'une guirlande.

Je ne suis jamais allé dans ce coin quand ça souffle, tu sais, les cyclones gros comme des cyclopes qui te tabassent dans ta maison qui n'en est pas une et qui l'arrachent, et toi avec. Le genre Alice aux pays des merveilles créole.
Je pensais à ça en gravissant l'escalier qui n'avait pas de rampe en me disant que je serais mieux en Californie, assis à califourchon sur mon canasson.
Ouais, j'ai un cheval en Californie.
Même qu'il s'appelle Certitude.

Arrivé en haut, quelle ne fut pas ma surprise en constatant que l'autochtone n'était décidément pas si con.
C'était un bar.

Et ça expliquait aussi pourquoi j'avais été irrésistiblement attiré par le lieu, pourtant pas indiqué dans le guide du Routard. J'ai une sorte de sixième sens pour trouver des fontaines où apaiser ma pépie.

Le barman me regarde faire mon moonwalk en marche avant, l'air dubitatif. Mais presque.
-'lut!
-Bonjour monsieur, ça sera quoi ?
-écoute, je vais prendre un Vancleef. Mais bien tassé. T'as vu.
-Je vous demande pardon ?
-Un Vancleef.
-ça n’existe pas, monsieur.
-Bien sûr que ça existe, joue pas l’kéké!
-Non, monsieur est taquin.
-Certes, mais toi t’es pas barman, mec.
-J’avoue, je remplace ma frangine qui passe le permis super-lourd.
-Ouais, toi je vois que tu l’as déjà. Donc, tu vas voir, c’est simple. Ça se sert dans une chopine d’un litre. Deux doigts de sirop de fraise, c’est pour les becs sucrés, frérot, quatre de vodka pure, si possible solide, et pour finir, tu arroses de bière, ouais jusqu’en haut. Bien joué, mec, t’es un pro, maintenant.

Après une tisane pareille, tu parles plus pareil. On dirait Ademo. T’as de l’auto-tune dans la bouche, et puis le vocabulaire onomatopale.
Onomatopède ?
Vas-y, t’as capté.
Et puis quand je pense à Ademo, je pense à mon canasson à moi que j’ai.
Et même si là,sur ma plage, j’ai un peu la gerbe, c’est toujours la même.
C’est quand il est loin que j’ai besoin de chevaucher la vie à flanc de Certitude.