Personal Jesus
8.2
Personal Jesus

Morceau de Johnny Cash (2003)

https://youtu.be/jQcNiD0Z3MU


Depuis que je fais Jésus, j’arrête pas.
Je me suis laissé pousser la mèche, la seule qu’il me reste, amoureusement entretenue par mon coiffeur Kevin.
Je ne mets plus de santiags, que des sandales. Comme un Belge.
Et puis je me suis acheté un lion que j’ai appelé Rastafari. C’est super indépendant, comme chat, faut juste le coiffer et le gratter là où il peut pas le faire lui-même.


Le verbe clair, le regard bienveillant, je m’assois en tailleur à la première colline venue et j’attaque.
Qu'ils viennent à moi! Qu'on m'amène sur le champs des nuées de bossus, de malvoyants et de baveux, tous les gisants et damnés de la terre !
Extirpez sans délai cette mauvaise clique du cloaque où elle macère, afin que je panse ses blêmes vicissitudes! Je m’en vais habiller ces funestes lieux d’un panel de couleurs, d’agapes et de flonflons pas dégueulasses.
Les rameaux fanés vont tantôt bourgeonner, les panses bientôt badigeonnées de miel.


Loin des créneaux de Babylone, en tant que fils du Ciel je cherchais une place au soleil, sur les rives d’une rivière d’eau pure où mon lion pourrait vivre en liberté.


Depuis que je fais Jésus, j’en ai plein le cul. Maudit blues.
On m’a traité de malfaisant, d’illuminé, j’entends encore les railleries, les quolibets, j’ai laissé glisser. Christ oblige.
Mais ils sont toujours là, à me molester, à quémander des broutilles dans un brouhaha incessant, à coups de « Où c’est qu’c’est, l’Eden ? » en tirant sur mon linceul de lin au risque de le froisser, à faire leur signe de croix sous mon nez, quel scandale, comme s’ils me souhaitaient le pire. La vermine. Je crois que je déteste les gens.
Diable, ils sont laids et Dieu sait qu’ils sont lourds.


Moi qui voulais courir tout nu en chantant "Qui a bu, toujours boira à la source de l’Amour... », faire des rondes et plus si affinités, je suis saoulé de leurs satanées suppliques. Je suis las.


Je leur ai dit qu’il fallait me lâcher la grappe, que tout bien réfléchi, ça allait pas le faire, que j’avais pas signé pour être une espèce de télécommande à bonheur, que j’aimais les dévots qu’à la milanaise.
Ras la mèche d’exaucer des vœux, ça me coûte, mon ami. (Ouais oé oé oé mon ami.)


Et c’est là que je le vis, assis sur mon épaule droite.

Il m’a demandé « Comment ça va ? »
J’ai fait le mec qu’entendait pas.
Je sais, c’est malpoli mais parfois je cède à ma grosse tête de con, je ne suis qu’un homme.
La putain de moi, j’entends des voix. Ça y était, c’était le naufrage du ciboulot.


Comme lui semblait avoir du répondant niveau casse-bonbons, il me regardait fixement. Avec ses gros yeux tout rouges et ses cornes.
«Messire, je vais aller droit au but : je vous propose un pacte»
« Cool, tu es qui déjà ?»
« Ce que vous voulez, Seigneur, un barde, un pétale ou un magicien, qu’importe... »
Un magicien pensais-je, le mec se mouche pas des couilles.
« Là, tel que tu me vois, barde, je suis pas en état pour discuter avec un casse-couilles. On va dire que j’entame une dépression du genre humain. »
« Oh j’entends bien sire, ne vous méprenez pas, je ne suis pas là par hasard, c’est votre Père qui m’envoie, le Grand Manitou, inquiet par votre coeur soudain ajouré. Il croit encore entendre sonner votre glas. Un papa reste un papa... »


Bon c’était la cerise sur le gâteux. Fallait que le Vieux m’envoie son messager préféré, un déchu, pour s’amuser avec ma carcasse fatiguée et me fredonner son gospel mortifère.
Je me suis dit qu’il était peut-être temps de céder à la violence, d'attraper le nain rouge par la peau du fion et de lui faire le karaté, de le faire valser en tempête, aux grands vents, en veux-tu, en voilà et vlan, le finir en apothicaire : en suppositoires.


Mais à quoi bon. Puisque Père m’a abandonné, j’ai rien à perdre, je vais le signer, son pacte.


« Jéjééééé ! Ma choute ! C’est l’heure du shampooing ! On se dessape fissa-fissa. Le Kéké, il a pas que ça à faire !»
C’était ma coiffeuse.
« Attends Kévin, j’ai pas le temps, je suis en clientèle là ! »
« Teu teu teu, il va pas faire sa sucrée. J’ai été clair, Jéjé... mais, saperlipopette, qu’est-ce que c’est que c’est que... »


Quand il écrasa Belzébuth à même ma personne et piétina sa dépouille à grand renfort de «Mais c’est quoi ce bubon, sur le Coran d’la Mecque, mec ? » et autres «Elle s’est crue où, celle-là ?», je me suis dit que décidément, les Noix du Seigneur sont impénétrables.


La bise.

DjeeVanCleef
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le 6 juin 2019

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