Tu es le genre de personne qui a un chat.


À la base, tu es un être humain tout à fait fréquentable, un bon bougre parfois, souvent une déesse qui s’ignore.
Quelqu’un que la pertinence, cette étincelle de l’intelligence, n’aura abandonné qu’une fois (peut-être deux), une poignée de misérables secondes à la lisière de cette dimension qu’on appelle quatrième, où tu as franchi la frontière en craquant devant cette boule de poils immaculée. Faut dire, il était tellement chou.


Et pis, il avait les yeux bleus. Comme Paul Newman.
On aurait dit une boule de neige avec une queue. Comme Paul Newman.


Hardi, pour l’accueillir, tu avais préparé son cocon de coton, accroché avec une ficelle à la poignée de ta porte une petite balle multicolore pour que ton félin puisse aiguiser ses sens de prédateur, tu n’avais pas oublié de déposer dans une écuelle une lichette de lait, que ton fauve puisse à loisir étancher sa soif prochaine.


Tu as tout de suite voulu lui trouver un nom, un blase qui pète car tu as toujours été le plus doué pour baptiser des trucs et ce, sans la moindre goutte de flotte.
Ton premier chien, celui de quand tu étais petit, tu l’avais appelé « Boule de merde » même si ta maman trouvait ça un peu long.


Plus tard, lors de ton adolescence turgescente, tu avais affublé ton petit frère du jovial sobriquet de "Moule à coquillettes". Ça lui allait comme un gland.


Et Anne, ta sœur Anne, tu l’appelais "pétrole" parce que parfois, quand t’étais jeune, t’aimais quand même bien rigoler.


Pourtant cette fois, tu avais hésité.


Dans un premier élan, ton chaton, tu l’aurais appelé Allah.
C’était court, dans l’air du temps et puis c’était l’année du A majuscule.
Mais bon, t’avais pas envie d’être fiché S et tu te voyais mal, au seuil de ta maison quand rien ne bouge dehors, ces soirs où s’envolent les serments comme les volutes épicées du dernier cône avant d’aller reposer le colosse, t’égosiller à tout rompre pour faire rentrer le matou récalcitrant alors que ton mange-disque susurre du Cat Yusuf Stevens.
Tu comptais pas habiter un minaret.


Dans un deuxième temps, quand tu es redescendu un peu, tu as pensé à Jah . C’était bien, Jah, ça portait pas à polémique et c’était facile de s’en souvenir, toi qui as encore du mal à te rappeler comment s’appelle le fruit de tes entrailles.
Mais c’était un peu chiant, Jah. Déjà phonétiquement, ça faisait un peu rat. Pour un chat c’est un coup bas.
Et puis ça t’obligeait à construire une maison de tes mains, en tiges de chanvre, juste derrière un arc-en-ciel. Faire la pluie, le beau temps, l’omnipotence c’était pas ta came.
Et en ces temps de disette atmosphérique, va trouver un arc-en-ciel potable...
Certes, là, tu pourrais apprendre à jouer de la viole de gambe, faire des misères au solfège en toute quiétude mais, y a pas à tortiller du baigneur, le gros œuvre ça n’a jamais été ton fort.
Jamais tu n’avais eu tant de mal et c’est l’oeil un peu vide que, pour t’acquitter de ta mission, tu regardais ton chaton qui, dans sa soif de découverte, s’abîmait dans la contemplation de son fion.


Oh ! Fion ? Non, trop vulgaire.
Bill à Kéké ! Ça, ça tapait fort. Mais ça voulait rien dire et le sens, sa quête en particulier, a toujours été une sorte de phare pour toi. T’écarter du chemin lumineux : jamais ! Tu préférerais encore te suicider à la fricadelle sauce andalouse.


Farci-fion ! Flûte, il y a encore fion…


« Fils de corbeau, ta mère t’a chié en plein vol ! » pensais-tu, « va falloir que je demande conseil, je sèche ».


Tu appelas ton frère, toujours de bon conseil.


« Allo, Moule à coquillettes ? C’est la merde !!! »
« Il t’arrive quoi , fils de cons? »
« Je sais pas comment l’appeler ! »
« L’appeler quoi ? »
« Mon chat ! »
« Mais quel chat? »


Mon frère, cet asthmatique du ciboulot, le mec te donne un chat et s’en souvient plus une demi-heure après.


« Bah mon chat, le petit truc tout blanc aux yeux bleus trop mimi que tu m’as donné tout à l’heure !! Frérooooooo»
« Je t’ai jamais donné de chat... »


Tuer son frère, ça devrait être autorisé.


« Bon écoute, moule à coquillettes, tu m’as donné la bestiole avec tout plein de recommandations que j’ai pas écoutées, un truc pour qu’il pionce dedans et même du lait, alors merde... »
« T’es pas en train de me dire que tu confonds ton neveu, mon fils, avec un putain de chat ? »
« De… ? »
« T’es pas en train de me dire ça, hein, ordure ??? »
« Carrément pas !Présentement, je te demande comment il s’appelle. Déjà. »


Ouais je sais, je suis plus fort que Rugy pour retomber sur mes pattes.


« Il s’appelle Cat »
« Il s’appelle Cat ? Tu dis ça comme si c’était possible ? Et tu t’étonnes que je décroche quand tu me parles ?" Le mec, il appelle MON neveu Cat ! N’importe quoi !" On devrait te couper les couilles pour pas que tu puisses recommencer une connerie pareille. »
« Comme Cat Stevens »
« Ah ! Voilà !! Tout ça parce que j’ai appelé ma fille Paul comme McCartney ! Tu n’as aucune personnalité»


« Djee, où est mon fils ? »
« Justement maintenant que je sais qu’il s’appelle Cat, je vais pouvoir le faire descendre du toit, ça marchera peut-être mieux que le boite de croquettes. Ouais mec, tu diras pas que j’en prends pas soin, je lui ai acheté des croquettes. »


La bise

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le 14 juil. 2019

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