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le 2 avr. 2017
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Épuisée par une vie de solitude, Hannah rentre un soir chez elle, se coule un bain, s'ouvre les veines et se laisse ainsi mourir. Mais avant de se donner la mort, Hannah a enregistré treize cassettes, destinées à (presque) autant de personne ayant influencé sa dernière décision. Tout aussi passionnants qu'ils soient, les prémisses de 13 Reasons Why peinent à dissimuler leur nature programmatique : pour chaque cassette, sorte de message d'adieu interactif, il y aura un épisode. Pas un de moins, pas un de plus.
Et ainsi s'égrène, dans un éternel recommencement narratif, la vie à la fois terrifiante et familière d'Hannah Baker, lycéenne harcelée de Liberty High. Loin du Michel Franco de Despuès de Lucia, passionné jusqu'à la perversion par les violences collectives infligées par les meutes organisées, Brian Yorker, qui adapte ici le roman young adult de Jay Asher, lui préfère l'accumulation intolérable des petites brimades quotidiennes de la jungle adolescente - jusqu'à un certain point. Car, à mi-chemin, comme soudainement persuadé que le caractère parfois dérisoire des violences psychologiques subies par Hannah ne justifie pas son geste désespéré (et pourtant, si), le showrunner se lance dans un étrange thriller mâtiné de suspense du dimanche, avec à la clé un étonnant paradoxe : si c'est ici que la série, beaucoup trop longue et décousue pour son propre bien, devient finalement intéressante, c'est aussi là qu'elle abandonne à la fois son sujet et son personnage.
Se dévoile, dès lors, à l'orée d'enjeux plus brutaux et plus grands, les limites de l'écriture et de la mise en scène :
L'épisode 9, qui met en scène un suspense odieux autour d'une agression sexuelle (qui est violé ? qui est le violeur ?), en est l'incarnation la plus brutale, le soudain point de bascule entre un divertissement pédagogique devenu thriller voyeur. À cela s'ajoutent les multiples incohérences qui se mettent alors à émailler le récit, plus ramassé (trois épisodes portent sur la même soirée) et plus tendu : personne ne sait si Jeff était ivre ou non, alors que son cadavre aurait dû subir un examen toxicologique ; l'adorable Sheri se mue en folle du volant et réagit de façon complètement incohérente de peur de fâcher un père dont on ne sait rien (le personnage n'étant jamais contextualisé), alors que prévenir la police puis fuir la scène aurait pu suffir à couvrir les faits ; le méchant-mais-pas-trop Zach s'inquiète de perdre sa bourse d'étude alors qu'on nous a bien fait comprendre quelques épisodes auparavant qu'il conduit une Audi à 60 000 dollars ; Justin parle d'assassiner Clay puis (re)devient sympathique parce que, hey, il n'a violé personne après tout ; Hannah se rend à une soirée chez un garçon dont elle sait qu'il a violé sa meilleure amie, et ne semble pas plus perturbée que ça à l'idée de se glisser dans le jacuzzi dudit violeur en compagnie de ladite amie et d'une pizza au pepperoni (elle nous explique, fort heureusement, qu'elle est "un peu dans le flou") ; et ainsi de suite.
Ces scories du scénario (ou plus précisément, des scenarii), soulignent malgré elles la mue monstrueuse qu'entreprend 13 Reasons Why à mi-parcours : déjà criblée de clichés et peuplée de personnages écrans, la série devient une véritable machine à broyer son protagoniste en dépit du bon sens, et s'aligne sur un enchaînement d'événements particulièrement tiré par les cheveux et toujours enveloppé de circonstances trop commodes pour être sincères. Et à ce glissement finit par se greffer celui de la morale : trop occupée à pousser Hannah au suicide et à en faire un spectacle tour à tour ludique et horrifiant (plus à même de tenir la distance de presque 12 heures de bobine que le récit fleuve d'un harcèlement sourd en milieu scolaire), 13 Reasons Why devient une étrange série éducative (paradoxalement inexploitable en milieu scolaire, tant elle est longue et déliée) à destination... des bourreaux, auxquels on explique qu'il faut parfois penser à aider son prochain. Les victimes, elles, sont condamnées de toute façon.
La fin, en se consacrant avec plus d'humanité à certains personnages (Alex, Jessica), permet de reconstruire certains liens brisés. Dylan Minnette et l'inconnue Katherine Langford signent de jolies prestations et Gregg Araki, qui met en images deux épisodes pour Netflix, surnage complètement dans un océan de tâcherons souvent assez peu inspirés, sans pour autant jamais effleurer la beauté de son terrassant Mysterious Skin. Le reste est une accumulation de sombres clichés (Justin, le petit garçon pauvre aux [faux] tatouages de gangster, Tony, le latino gominé qui joue des poings, véritable incarnations du mépris de classe américain) à peine percée de diversité bon teint : untel est gay, unetelle est incomprise, untel a les cheveux peroxydés. C'est finalement bien peu pour une série qui n'hésite pas, pour se relancer dans l'hypothèse d'une seconde saison, à jouer d'un cliffhanger particulièrement odieux :
Le teasing d'un massacre de masse dans la lignée de celui de Columbia.
13 Reasons Why, bien trop édulcorée en dépit de ses images parfois chocs, peine à s'élever au niveau de sa concurrence directe, comme Twin Peaks (sur le thème du deuil, de la survivance de la mémoire, des peines d'amours perdues) ou même The OA (qui traite également de survie en milieu scolaire, de la précarité des jeunes, de la capacité de reconstruction, des narrations imbriquées, de la frontière ténue entre mensonge et vérité), deux séries qui, au prix d'un effort d'interprétation supplémentaire, s'avèrent infiniment plus percutantes et révélatrices. Et deux séries qui ne sont pas, contrairement à ce qu'on pourrait penser, nécessairement réservées à un public plus âgé.
Créée
le 8 avr. 2017
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