Modèle contemporain - la fin du temps (ou pourquoi Jack n'est que pure brutalité)
Tout simplement l'un des piliers de la série contemporaine, et sans entrer dans une enthousiasme primaire, 24h fait partie des privilégiés qui ont su, au même titre qu'un Twin Peaks, Breaking Bad ou Lost, réconcilier la télévision et le cinéma, de par la qualité du scénario, des thématiques, et de la mise en scène. La nervosité de la caméra, l'éclatement spatial du cadre, toutes ces règles de transparences de la réalisation que 24h brise, serviront de point de départ et de modèle esthétique à un cinéma d'action post 11 septembre entré dans le chaos et la paranoïa (et ayant eu le mérite d'anticiper cette esthétique avant les attentats!) : peur d’être surveillé, peur des attaques terroristes, peur d'une menace non pas visible mais venant de l’intérieur. Par exemple, dans la saison 1, un savoureux épisode nous montre Jack Bauer, son personnage principal, suivi par des terroristes, qui surveillent ses faits et gestes, au moyen d'une caméra. Etrange vision de terroristes ayant troqués leur arme pour un dispositif filmique, finalement plus dangereux. Car la crainte de cette ère numérique, c'est l'image, et surtout la peur de perdre l'image, et de perdre ainsi tout contrôle. Autant de problématiques développées par la série, au risque parfois d'entrer dans la surenchère ou le recyclage facile, à mesure que les saisons avancent. Mais les trois premières restent des références
Arrive finalement la saison 8, ultime saison de 24
C'est fini. Un adieu est toujours déchirant. Saluer quelqu'un dont on sait pertinemment que ce sera la dernière fois que nous le verrons. Chloé O'Brian, amie de Jack Bauer depuis maintenant 4 saisons, ne pouvait retenir ses larmes, larmes renvoyant forcement, d'une certaine manière, à l'état du spectateur. 24h chrono aura traité l'image-espion et l'image-chaotique-paranoïaque-angoissée jusqu'à l'excès de ses situations poussives, improbables, et recyclées de saisons en saisons. Parfois également au risque de provoquer la colère du spectateur, lors des innombrables écarts marginaux et pourtant évitables de Jack. Pourtant le maniérisme esthétique de la série, parfois risible et à la limite de l'auto parodie a marqué à jamais la décennie, s'imposant immédiatement comme archétype. L'ère numérique a porté à son paroxysme les questions de synchronicité, d'immédiateté, et de mémoire. Comment garder en mémoire, sur un espace aussi restreint, autant d'informations, qui se chevauchent comme les splits screen (écrans séparés) que 24 exploite, éclate, et dispose? Que restera t-il de notre génération? Les théories catastrophes du blackout laissent envisager les pires scenarios et laissent croire à la disparition de toute trace d'archive numérique (est ce que cet article disparaitra, lui aussi?). Mais que reste t-il de 24, devenu la métaphore de l'esthétique contemporaine. La série eut un tel impact que sa fin marque un évènement. Et l'évènement devient la fin. Le passage de l'être au non-être, du tout au rien, de l'image au blackout, à la disparition numérique. Car au delà du terrorisme et des différentes fin du monde (bombe nucléaire, catastrophe climatique), la véritable terreur de cette décennie reste la peur de perdre l'image; devenir aveugle et amnésique. Dans un ultime plan, dans un vertigineux sur cadrage, Jack nous regarde, et nous le voyons à travers l'écran d'un drone. Un sur cadrage déjà lourd de sens: après tout, Jack était un pur personnage, parfois extrême, brutal, cruel, et souvent agaçant, de par son sens aigu de justice, justice qui lui permettait de côtoyer tous les excès (torture, détournement, assassinats). Jack, en réalité, n'existait que pour la fiction, que pour l'image, et que pour le bien de la série, dont il menait les péripéties et portait les enjeux. Personnage qui ne trouvait sa raison d'être que dans l'avancée de l'histoire et des thèmes qu'elle générait. Il est donc inévitable que la dernière image que nous ayons de lui soit une image dans l'image. Jack a accompli sa mission; il faut rendre à César ce qui est à César, jack retourne donc au numérique, à qui il doit tout. L'image se brouille et disparait, retournant à son état primitif, effaçant ses moindres pixels comme si elle n'avait jamais existée. Et la désormais célèbre horloge de 24h se transforme pour la première fois en compte à rebours, ramenant à 00h00. A la fois heure de départ de la saison 1, 10 ans auparavant, et à la fois le néant, le commencement. La boucle est bouclée, l'image est apparue et a disparu. 24 se joue donc, jusqu'à la dernière seconde, de toutes les phobies sociales contemporaines. Pourtant, la mémoire humaine ne s'imprègne pas sur une pellicule dégradable ou sur un disque dur pouvant lâcher (même si les dégénérescences de la mémoire deviennent des maladies humaines récurrentes). Ainsi, l'image, les images, resteront, pour nous, fan ou simples spectateurs curieux, sans doute à jamais gravées dans notre mémoire, aussi longtemps que le permet le cerveau humain