Je suis un sociopathe.
Toute bonne chronique devrait commencer par un constat clinique permettant d'établir précisément la teneur des propos à venir de son auteur. L'information est digne d'intérêt. Peut-être pas cruciale, mais elle offrira un autre degré de lecture à mes compères sociopathes qui se reconnaîtront (coucou).
Cette sociopathie a conditionné chez moi un goût immodéré pour les astuces et les solutions ingénieuses dans les intrigues. Ce qui a pu charmer dans un Death Note ne tient pas nécessairement en premier lieu de la lutte entre deux idéologies (ce qui est foncièrement secondaire au regard de tout ce que l'œuvre apporte), mais bien l'ingéniosité extrême requise pour imaginer, concevoir et appliquer des scénarios de guerre psychologique avec des astuces sans cesse plus recherchées afin de prendre son adversaire de revers.
Cette sociopathie m'a donc mise sur la voie de la lecture du Death Note permanent. De créations où les astuces sont reines et prennent même le pas sur le propos de l'œuvre ainsi que de ses arcs narratifs.
J'ai donc tâté du Shinobu Kaitani et exulté en lisant son Liar Game, m'apprêtant prochainement à dévorer One Outs.
En cherchant un registre capable de classifier le tout, ma recherche a abouti au genre Mind Games ou jeux d'esprit. Après avoir arpenté une liste assez complète pour faire mon bonheur, je suis tombé sur Kaiji. Ma satisfaction fut quasi-absolue et j'ai dévoré les deux animes en plus de l'opus basé autour de Tonegawa qui, lui, se voulait simplement humoristique (et drôle, chose rare chez les comédies qu'on nous présente).
En réalité, la réussite d'un jeu d'astuces repose d'une part sur des règles établies et concrètes axées autour un principe simple (écrire un nom pour tuer, un jeu de chaises musicales, pierre-papier-ciseau, le mahjong) ;
c'est le fait de jouer avec ces règles, trouver les failles, les exploiter et ainsi créer des stratégies insoupçonnées qui rend le tout fascinant.
Akagi promettait d'être une nouvelle divine surprise suite au succulent Kaiji.
Le contexte interpelle déjà au premier épisode. Le Japon d'après-guerre. L'ambiance est oppressante, sombre, l'action est lente. On est même à la limite d'un polar entre le tripot, la luminosité quasi absente et le flic qui entre dans l'équation au milieu des pourris. Le tout, dans une musique qui s'harmonise superbement à la vision qui nous est offerte.
On tient déjà quelque chose, il ne reste qu'à s'installer et savourer.
Grave erreur.
M'étant naïvement imaginé qu'une introduction au Mahjong serait de mise pour moi qui suis néophyte, me voilà jeté dans la partie sans même une explication. Les termes barbares fusent, se multiplient. Alors on se dit que les explications vont venir, que c'était un tour de chauffe pour épater la galerie et qu'on allait introduire le spectateur au monde qu'il serait amené à fréquenter ces vingt-six épisodes.
Le moment vient. Vous ne l'avez pas vu ? Peut-être est-ce parce que vous avez cligné des yeux le temps que l'on vous montre les explications. Elles durent vingt secondes montre en main. Essayez d'expliquer à quelqu'un les règles des échec en plus des ouvertures et stratégies de base à quelqu'un qui ne connaît rien au jeu... en vingt secondes. Testez sa réaction ensuite. La mienne ne devait pas être très éloignée de ce que vous découvrirez alors.
Un travers qu'a Akagi comparé à Kaiji est le fait qu'il s'adapte mal du manga papier au support animé. Manga où l'on peut s'appesantir et étudier attentivement les règles ainsi que les mains qui nous sont présentées à chaque partie pour comprendre intégralement ce qui se joue. Apprendre progressivement.
Le format vingt minutes nous oblige à aller de l'avant, tant pis pour les retardataires, ils suivront sans comprendre.
Je lis ici et là que comprendre ce qui se joue n'est pas primordial puisqu'il y a l'ambiance. Eh bien l'ambiance s'estompe passée la première partie figurez-vous, la tension va decrescendo de partie en partie. Ce qui fait l'intérêt d'Akagi - et j'en reviens à ce que j'ai exposé -, c'est le caractère astucieux et l'intelligence avec laquelle il parvient à vaincre ses adversaires grâce à des réflexions qu'on croirait surhumaine et pourtant concevables.
Seulement, s'il ne nous est pas permis de comprendre ces histoires de combos, de nous familiariser avec chaque terme présenté spécifique au Mahjong (on croule sous une avalanche dès le premier épisode, j'ai toujours pas pigé ce qu'est un Dora Man Gan), eh bien nous ne pouvons pas savourer les astuces.
Plus d'ambiance passé les deux premiers épisodes, les astuces insaisissables si vous n'avez pas de connaissances approfondies en Mahjong japonais (dont les règles et les combos ne se retiennent pas si facilement, croyez-moi...), que nous reste-t-il ?
Les personnages ? Vous voulez dire : LE personnage.
Oui, si vous n'êtes pas familier avec le genre de manga où le héros est un prodige et où ses compagnons lui servent uniquement de faire-valoir, vous allez passer un baptême du feu plutôt houleux.
Car il y a trois catégories de personnages dans Akagi :
- Akagi
- Ceux que Akagi bat au Mahjong
- Ceux qui nous font la narration (incompréhensible sans connaissance des règles, j'insiste) et nous rappellent - à intervalle de trois minutes - à quel point Akagi est un génie.
Nous nous attarderons sur la première catégorie puisque le reste de la distribution fait au mieux office de tapisserie : Akagi, le personnage.
J'ai lu certaines critiques (celle de Mehdi Ouassou, pour ne pas le nommer) présentant le rôle christique de Akagi. Pour avoir lu les Évangiles, je n'ai pas mémoire que le Christ fut un personnage apathique, sans émotion, insipide, invulnérable avec une idée fixe dont on se lasse assez vite.
Akagi est le personnage parfait. Parfait en ce sens où il est infaillible, à aucun moment il ne sera mis en difficulté. Toujours impassible, un petit sourire en coin ; ses victoires se font les mains dans les poches et je n'insisterai jamais assez sur la facilité déconcertante avec laquelle il bat tout le monde.
Comment ressentir de la tension lorsqu'on est assuré que le personnage principal s'en sortira sans encombre ? Ce caractère impassible et inébranlable est plus accentué encore que chez le T-1000 de Terminator. J'exagère ? Une illustration pour vous mes bons seigneurs :
Lors de son dernier affrontement, Akagi parie du sang. Même avec près d'un litre de sang prélevé, il ne vacille pas. Pas même un peu. Son teint ne se fait pas plus livide, des cernes ne se creusent pas sous ses yeux, ses réflexes ne sont pas plus lents, il n'a pas de nausée, pas de vision trouble. Non. Il reste paisible, imperturbable, son petit sourire en coin, sûr de sa victoire.
Si sûr de sa victoire que nous le sommes aussi... ce qui tue toute la tension puisqu'on sait qu'il va gagner. À aucun moment Washizu ne réussit à le perturber. C'en devient ridicule.
Le tout assorti d'une fin convenue et torchée qui ne surprendra personne. L'ambiance initiale instaurait pourtant un ton sombre duquel on pouvait présager le pire. Bah non, ma brave dame, vous pensez bien qu'on va rester dans les sentiers battus.
Voilà ce qu'est l'animation Akagi, un personnage principal invincible, donc, pour lequel on ne s'en fait à aucun moment, tuant toute tension qui est pourtant la marque de Fukumoto (regardez Kaiji) ; le tout, mêlé à un jeu dont on ne pige pas les tenants et aboutissants, où tout se passe trop vite avec en bruit de fond les compagnons de route d'Akagi qui nous rappellent à l'envie à quel point il est doué (comme si le fait qu'il gagne sans ciller à chaque fois ne nous avait pas suffi pour que nous comprenions).
C'est une déception. Si j'avais regardé cet anime avant Kaiji, peut-être même aurais-je renoncé à approfondir les ouvrages de Fukumoto. Quelle erreur cela aurait été.
Akagi est une adaptation qui n'aurait pas dû être. Une partie de Mahjong pour des néophytes sur un support vidéo de vingt minutes, c'est clairement inadapté si on veut que l'immersion soit réussie. Quant au personnage principal, on a là l'antithèse de Kaiji qui, lui, était vulnérable et sujet à la défaite, ce qui rendait la tension insoutenable et les désillusions nombreuses face aux retournements de situations incessants. On soufflait en même temps que lui, on enrageait presque autant et on stressait plus encore.
Là... pas de suée qui tienne. On reste spectateur d'un jeu dont on ne pige rien mais dont on sait que le protagoniste le remportera de toute manière quoi qu'il arrive.
Quatre étoiles parce que j'ai réussi, en faisant souvent pause, et en épluchant les combinaisons du Mahjong japonais, à piger deux-trois de ses stratégies qui étaient bien recherchées. Mais j'ai dû pouvoir savourer à sa juste valeur uniquement le cinquième de ce qui m'était montré. Un trésor insaisissable que ces parties de Mahjong, on est à la limite du supplice de Tantale. C'est frustrant. D'autant plus avec héros aussi creux. Car entre nous soit dit... j'en entends se gausser de Sasuke et autres personnages D4rk sans substance... Akagi n'a rien à leur envier.
Pour les téméraires qui n'auraient pas été rebutés par ma critique, épargnez-vous au moins le dernier arc avec Washizu, vous vous rendrez service. Car j'insiste... il n'y AU-CUNE surprise. Tout coule de source.
Enfin, quand je recherche un anime/manga avec des jeux d'esprit, je ne suis en général pas très regardant sur l'histoire dont le minimalisme me convient. Les rouages du jeu ainsi que les tactiques tordues me suffisent. Mais là... il n'y a aucun développement. Année X, Akagi joue Mahjong, Année X+7 Akagi joue au Mahjong, année X+13 on en apprend plus sur le passé d'Ak...non je déconne, Akagi joue au Mahjong. Les motivations sont vagues et font office de prétexte pour justifier la prochaine partie.
Ça me fait mal d'infliger quatre à une œuvre de Fukumoto qui aura su me tenir en haleine et satisfaire mes appétits sociopathiques avec Kaiji, mais ça ne vaut clairement pas la moyenne. J'étais parti pour un trois et puis... je me suis dit que je devais au moins un point de plus. Ne serait-ce que pour l'auteur.