Diffusée en 1998 à partir d'un manga dessiné par Yasuhiro Nightow (alors en début de carrière), Trigun fait partie de ces œuvres géniales de loin, mais un peu moins quand on y regarde de plus près.
De loin
Le charme principal de Trigun provient de son univers : une humanité décadente vivote sur une planète désertique à la manière des colons américains lors de la conquête de l'Ouest. La justice par le colt règne et pourtant, au milieu de cette apparente barbarie, subsiste les vestiges d'une technologie très avancée (notamment des centrales d'énergie ressemblant à des ampoules électriques gigantesques, original). Quel est donc l'histoire de ce monde ?
Le scénario quant à lui s'attache au personnage de Vash the Stampede, un pistolero dont la tête est mise à prix 60 milliards de double-dollars (on n'en connaît pas le cours, mais on devine que c'est énorme). Il a la réputation d'un tueur de masse et on le soupçonne d'avoir rasé à lui seul une ville entière, rien que ça. Deux employées d'une compagnie d'assurance, Meryl Stryfe et Milly Thompson, sont chargées de l'escorter pour éviter qu'il ne cause d'autres catastrophes... mais elles auront rapidement la surprise de trouver, en guise de tueur sanguinaire, un dadais maladroit et pacifiste. Qui est-il donc réellement ?
Trigun, c'est donc la promesse d'une aventure riche en révélations et en action, chaque épisode ayant droit à sa confrontation armée et soutenu par une bande-son blues/hard-rock du meilleur effet, avec un héros mystérieux à la gaucherie touchante.
D'un peu plus près
Pourtant, au cours du visionnage, on se rend compte que la série possède un certains nombres de petits défauts qui, mis bout-à-bout, ternissent le résultat final. D'abord, l'histoire est nettement séparée en deux parties : la première constituée d'épisodes indépendants visant à dresser la galerie de personnages, la deuxième s'attachant à présenter puis suivre le fil rouge (révélé dans le paragraphe suivant), répondant au passage à certaines questions que se posaient les spectateurs... tout en en posant de nouvelles.
L'humanité qui survit sur cette planète descend donc de colons ayant quitté la Terre, que l'activité de l'homme a irrémédiablement polluée. De nombreux vaisseaux transportent des échantillons des espèces végétales et animales terrestres dans l'espoir de trouver une planète habitable où il serait possible de bâtir une société meilleure, plus paisible et plus responsable. La plupart des êtres humains sont en sommeil cryogénique, un équipage à l'effectif réduit devant s'acquitter de la tâche de trouver la terre promise. Deux enfants jumeaux attirent l'attention : ils ont été recueillis par l'équipage au stade de nourrisson et ont pris en un an la taille d'enfants de dix ans, signe qu'ils ne sont pas humains. Ce sont Vash et Knives. Un des membres de l'équipage, Rem Saverem, les a pris sous son aile et leur sert de substitue maternel, mais leur intelligence précoce effraie et attise l'animosité de certains. C'est ainsi que Knives, prenant conscience de la supériorité de l'espèce à laquelle appartiennent son frère et lui et de la dangerosité de l'espèce humaine, décide de faire s'écraser les vaisseaux transportant les humains. Son entreprise échouera mais causera la mort de l'équipage et donc de Rem, ce que ne lui pardonnera jamais Vash. Ce dernier décide alors de poursuivre l'idéal de la jeune fille en jurant de ne jamais prendre de vie humaine et d'empêcher Knives d'éliminer les colons qu'il a fait débarquer sur la planète désertique malgré eux. L'aventure se passe plus de cent ans après cet atterrissage forcé, et Vash est toujours à la recherche de son frère, avec lequel il a déjà eu plusieurs confrontations.
Résumé ainsi, cela paraît un peu long, mais tout cela est raconté en un seul épisode flash-back de 25 minutes, le dix-septième sur vingt-six. Le fil rouge est amorcé un peu avant mais c'est seulement lors de celui-ci qu'on en comprend vraiment les implications. On a quand même dépassé les deux-tiers de la série. Trop d'épisodes d'introduction donc, et pas assez d'épisodes par la suite pour développer tous les enjeux scénaristiques. Il en résulte une aventure qui se poursuit et s'achève dans la précipitation, beaucoup d'ennemis que l'on devine importants étant rapidement éliminés sans être approfondis (ex: Legato, antagoniste au pouvoir terrifiant mais qui ne sera pas exploité en dehors de sa servilité envers son maître alors qu'il aurait largement mérité que l'on creuse son histoire).
La narration fait aussi preuve de nombreuses facilités du type deus ex machina (arme apparaissant providentiellement pour sauver un protagoniste, personnage décidant au dernier moment de ne pas aller au bout de ses actes, ellipse menant directement à l'élimination d'un antagoniste quand l'épisode arrive à sa fin...). Cela déteint sur la mise en scène des fusillades, trop souvent brouillonne alors que la série montre à plusieurs reprises qu'elle pouvait briller sur ce tableau (celle du dernier épisode notamment). De plus, si le fil rouge insiste sur la confrontation entre deux visions du respect de la vie - l'une pessimiste et calculatrice où il s'agit de tuer ou d'être tué, l'autre optimiste et naïf où chacun a droit à la vie et au pardon - le manichéisme domine souvent, avec beaucoup de situations type très vicieux contre très vertueux. Et, au fil des épisodes, Vash agace par ses excès de sensiblerie. On comprend qu'il soit torturé lorsque ses erreurs ou sa négligence coûtent une vie, mais de là à gémir, pleurnicher et supplier dès qu'un innocent est menacé... Heureusement, ce n'est pas systématique.
On regrettera également que la série cède à la surenchère, avec des armes de plus en plus gigantesques, des ennemis géants et/ou aux pouvoirs surnaturels (sans plus d'explication) et aux costumes bariolés un peu ridicules... l'univers post-apocalyptique/western en prend parfois un sacré coup. En fait Trigun souffre un peu de son univers à deux facettes, un peu loufoque et humoristique (surtout dans sa première partie) puis de plus en plus sérieux voire intellectuel. Le problème, c'est que la facette loufoque a laissé son empreinte, qui ne colle pas toujours avec la deuxième facette.
Pour finir, un mot sur l'animation en elle-même, qui est plutôt correcte bien qu'elle souffre de quelques fainéantises : beaucoup de plans figés avec un brouhaha en fond sonore, une fumée de cigarette qui n'est pas animée tant que le fumeur n'est pas impliqué dans la conversation, quelques scènes où les figurants font un peu tache niveau qualité du dessin quand on les compare avec les protagonistes principaux situés juste à côté, une ou deux animations recyclées... Mais honnêtement, on peut passer outre.
Finalement, Trigun fait plutôt partie de ces séries à haut potentiel mais qui laissent sur sa faim. Peut-être que le manga est de meilleure facture au niveau de la narration ; il a en tout cas toutes les chances de mieux exploiter l'histoire car de nombreux tomes ont suivi après la fin de l'animé sous le titre Trigun Maximum. Peut-être une expérience à tenter.