Un Gentleman à Moscou se distingue d’abord par sa rare fidélité à l’œuvre littéraire dont elle est inspirée, une qualité précieuse dans les adaptations télévisées. La série capitalise ainsi sur les atouts du roman d’Amor Towles, et parvient à en sublimer l’histoire au travers de décors somptueux, des costumes élégants, une photographie remarquable et, surtout, des performances exceptionnelles d’Ewan McGregor et de Mary Elizabeth Winstead. Les acteurs se glissent dans leurs rôles avec une aisance déconcertante, incarnant de manière remarquablement naturelle leurs personnages. Leur évolution progressive sur plusieurs décennies parvient ainsi à captiver le spectateur.
Certes, la série, comme le roman, peine à égratigner la surface du véritable esprit moscovite, de l’âme russe, et de la complexité de l’URSS post-révolutionnaire ; elle demeure l’œuvre d’un auteur américain et d’une production britannique. Toutefois, les décors – recréés dans le nord de l’Angleterre – transportent le spectateur dans une époque intemporelle, empreinte d’une élégance et d’un raffinement fin de siècle. À l’image du grand hôtel Métropole où se déroule l’intrigue, l’œuvre transcende le temps et l’espace, dessinant une fresque atemporelle de la condition humaine, tant dans ses tragédies intimes que dans ses bouleversements historiques.
Car l’histoire qui nous est contée est celle d’un drame au sein d’une une tragédie : celle du comte Alexandre Rostov, aristocrate raffiné, amateur de plaisirs intellectuels et gastronome épicurien. C’est un homme du monde, spirituel et attaché à l’honneur, un véritable gentleman contraint d’assister, impuissant depuis les combles du Métropole, à la chute de son pays bien-aimé dans les abysses du totalitarisme. Rostov tente, malgré son exil forcé à l'intérieur de son propre pays, de préserver un éclat de l’élégance et des valeurs de l’ancien monde qui s’effondre autour de lui.
Alors que les décennies défilent, au dehors, les couloirs figés du plus grand hôtel de Moscou, apparaissent comme un refuge, où viennent périodiquement s’échouer de nombreuses âmes presque mortes au gré de leurs propres tribulations.
Un Gentleman à Moscou devient alors une élégie de l’effacement, un chant mélancolique pour un monde disparu, car la critique au coeur de la série ne se limite pas au communisme, mais soulève également des interrogations subtiles sur le rêve américain, dont l’idéalisme se résume à une promesse de confort matériel. Une réflexion qui n’est pas sans rappeler celle de Soljenitsyne dans son discours de Harvard.
Ben Vanstone, après le succès de All Creatures Great & Small, fait donc preuve ici d’une finesse rare dans la reconstitution historique et confirme son talent pour sublimer l’Histoire dans l’intime.