Dans le roman, Tolstoï oppose fondamentalement deux couples : l'un qui court inéluctablement à sa perte, l'autre à son bonheur. Nul doute que le couple qui a la préférence de Tolstoï n'est pas Anna Karenine/Vronski et que la finalité du romancier est de mettre en avant le couple Kitty/Levine. Une preuve est que le roman commence et finit par les personnages de Kitty et Levine. Une autre preuve est que le nom de Levine correspond au prénom de Tolstoï. Sans oublier que Tolstoï utilise le personnage de Levine pour y exprimer toutes ses idées et convictions politico-économiques.
Cette introduction est nécessaire car les adaptations au cinéma me semblent en général faire la part bien trop belle au couple Anna /Vronski occultant la vraie vision de l'écrivain. C'est vrai pour le film de Duvivier, de Clarence Brown avec Greta Garbo. Celui de Joe Wright (avec Keira Knightley) a d'autres défauts lié à la théâtralisation à outrance du film .
Je n'ai jamais vu les films russes car, semble-t-il on ne les trouve pas facilement. Celui de Zarkhi de 1967 n'existe qu'en VO avec sous-titres anglais. On en trouve sur internet de plus anciens non sous-titrés... Même avec les passages en français (le français étant la langue des gens cultivés en Russie), ce n'est pas très pratique... Pour ces films, donc, je ne sais pas ce qu'il en est.
De ce point de vue, la vision de Christian Duguay, en réhabilitant le couple Levine/Kitty, me semble beaucoup plus conforme à celle de Tolstoï et mérite toute notre attention.
Le film, la mini-série, dure 3 heures environ permettant au réalisateur de plus facilement installer l'action et les personnages. Les acteurs habitent bien leurs personnages sans démesure et, du coup, sont tous très crédibles.
Un regret (de taille) : la plus belle scène du livre (la réconciliation Kitty / Levine !) qui s'étale sur des dizaines de pages dans le roman, qu'on lit et relit avec délectation, dont on sent que Tolstoï y a mis tout son savoir-faire et tout son cœur, sa délicatesse et son amour des personnages, qui a tant de sens et de non-dits, qui est centrale dans le roman (pages 500 sur 1000) et en constitue un sommet, est traitée ici en à peu près 2 ou 3 répliques. Très belles et émouvantes, certes, mais ... Ah, quel dommage mais quel dommage !
En contrepoint, la scène où Kitty sert dans un hôpital de guerre (contexte différent dans le roman) est splendide et très réussie.
Lou de Laâge me semble être l'interprète tout-à-fait adaptée du rôle, très beau, je crois l'avoir déjà dit, de Kitty.
Tout ceci étant dit, cette adaptation du roman reste de très très bon niveau et je la recommande à tous ceux qui comme moi ressentent la profonde aspiration de Tolstoï vers une vie simple et heureuse.