Arcane
8.2
Arcane

Dessin animé (cartoons) Netflix (2021)

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« Du Zola steampunk » qu’il disait...

On regarde un produit dérivé et on se retrouve face à une série sur la croyance dans le progrès technique et celle dans le progrès social ; sur les sociétés d’apartheid ; sur la lutte des classes ; sur les stratégies de lutte et sur la répression ; sur l’utopie ; la dystopie, mais aussi l’amour ; la famine ; l’enfance ; la trahison ; sur plein de trucs, quoi… On est face à des bonhommes que tu peux acheter dans la boutique d’un jeu et au lieu de les voir enchaîner des exploits contre des méchants, on se retrouve face à un récit choral écrit comme une tragédie naturaliste avec de vrais personnages qui ont de vraies psychologies et qui racontent tous une histoire de cette ville dont les trajectoires se croisent, se lient, s’entrechoquent, se déchirent au gré des événements qui sont définis non pas par des jugements moraux, mais par leur place, leur réalité sociale, leurs traumas, leurs affects, etc. Arcane, j’suis désolé, c’est The Wire. Non mais c’est à peine une vanne, hein. C’est du Zola steampunk avec de la bagarre.

Ce propos tenu au sujet d’Arcane, il l’a été par Benjamin Paturaud – alias Bolchegeek – dans son épisode du 10 novembre 2024 de POPulaire ; l’émission sur la pop culture qu’il anime sur la chaîne YouTube du journal l’Humanité. Ce propos, clairement, c’est celui qui m’a fait passer le cap. Arcane, jusqu’à présent, j’en avais certes déjà reçu des retours très positifs –venant même parfois d’éclaireurs ou de potes dont je considère beaucoup les avis – ce qui avait déjà aiguisé ma curiosité par le passé. Je me souviens qu’à cette époque, je m’étais dit que si l’occasion se présentait, je me la materai. Mais comme l’occasion ne s’était jamais présentée depuis, c’était resté lettre morte ; une lettre morte ravivée par cette vidéo de Bolchegeek donc. Pensez-vous donc : The Wire quoi ! Il fallait clairement que je passe à la vitesse supérieure concernant cette série déjà sortie trois ans plus tôt. Et donc voilà, ça y est : c’est fait. J’ai désormais vu Arcane

…Ou plutôt non, soyons précis. J’ai surtout vu les deux premiers épisodes en entier et puis, pour le reste, je me suis maté les sept autres épisodes de la saison 1 en accéléré, histoire d’abréger mon calvaire. Parce que oui – vous l’aviez déjà sûrement compris au vu de ma note et du titre de cette critique – Arcane est moi, ça a été compliqué… Très compliqué, même…


Alors d’accord – c’est vrai – c’est joli. Ça, je ne vais pas le contester. La toute première scène de la série se veut très esthétisante et augure de très bonnes intentions. Il y a des choix formels certains, un goût du détail qui se ressent sur pratiquement tous les aspects visuels de la série. C’est fourni, travaillé, réfléchi, et jamais Arcane – du moins sur cette saison 1 que j'ai vue – ne lèvera me pied à ce niveau-là. Alors certes, ça ne dépaysera pas celles et ceux qui sont déjà passés par BioShock Infinite ou par Dishonored, ça peut aussi avoir le malheur d'être un peu chatoyant par rapport aux atmosphères que ça prétend poser et ça abuse souvent des effets de glow mais, globalement, ça reste très maîtrisé, bien composé et cohérent dans l'ensemble.

Cependant, j'avoue que même sur ce point fort de la série, il y a déjà quelque chose qui, chez moi, pose souci. J’ai mis du temps avant d’en cerner l’origine, mais je trouvais que, malgré la jolie patine, tout ça n’avait que peu d’impact ; pour ne pas dire pas du tout. Ça me laissait froid. Ça ne me parlait pas.

Au départ, j’ai cru à un problème lié à une esthétique trop vidéoludique. D’un côté le style visuel va chercher dans des lignes très franches et des couleurs qui rappelleraient presque une esthétique bande dessinée, à la façon du trailer du Rob Zombie pour Assassin’s Creed Unity, mais de l’autre côté – et contrairement au trailer de Rob Zombie – les animations sont très fluides, les ombres très estompées et figées, ce qui, chez moi, a maintenu ces visuels au sein d’une étrange vallée malaisante. Et puis, à force d’enchaîner les épisodes, j’ai fini par comprendre que le problème était en fait encore plus profond que ça.


En fait, le vrai souci ne tient pas tant à la plasticité des visages qu’au fait qu’ils soient excessivement mobiles. Voilà qu’on nous pose un style sombre et des personnages dont on veut nous dire qu’ils sont burinés par la vie, mais au final tout le monde parle avec l’expression faciale d’une princesse Disney. C’est pétri de mimiques. Ça rend tous ces personnages incroyablement maniérés et superficiels. Et le pire, c’est que ce n’est au fond qu’un aspect parmi tant d’autres d’un problème plus général. Et ce gros problème général c’est que rien, dans le monde d’Arcane, n’a d’aspérité. Ni les personnages. Ni l’univers. Ni l’intrigue. Ni le propos.

Parce que ce n’est pas qu’une question de maniérisme facial, en fait. Il y a aussi ces voix, lisses au possible (seule celle de Grayson parvient à sortir du lot), ainsi que ces physiques archétypaux et sans caractère. Silco est un banal mélange de Jafar et de Double-face qui parle avec une voix sombre dans un coin sombre de sa pièce sombre (Serait-ce donc lui le méchant ? On se le demande tous…). Deckard, qui est censé être une racaille des bas-fonds, est coiffé comme le fils mal dans sa peau du concessionnaire Mercedes qui habite la banlieue CSP+ du coin, quant aux sœurs Vi et Powder /Jinx (censées elles aussi avoir été élevées à la dure dans les quartiers les plus malfamés de Zaun), elles arborent toutes deux des dégaines de gamines de pavillon qui s’inventent un look trop dark ultra sophistiqué fait de mèches, maquillage et de vêtements pas pratiques à porter mais trop fashion que-t’es-trop-darron-pour-comprendre.

Je ne crois en aucun personnage, ni en Jayce le génie-beau-gosse, pas plus qu’en Caitlyn la-gueule-d’ange, et encore moins aux acolytes insignifiants à la personnalité jetable…

...Et que la série ne se privera d’ailleurs pas de jeter.


Sans surprise, l’écriture, elle aussi, ne fait que trahir, à la longue, le manque de relief de tout cet édifice. L’intrigue est poussive à souhait. Elle multiplie les répétitions et les pires clichés du genre.

Combien de descentes d’enforcers pour tenter de choper la bande de quatre ? Une première où ils ne sont que deux soldats. Puis une autre où ils y vont à quatre. Puis une troisième où, cette fois-ci, Marcus se risque à y aller avec une demi-douzaine de collègues… À chaque fois, on vient, on checke, on ne trouve rien, et on repart. « Bon, là on retourne à Piltover parce qu’on a belotte au poste, mais attention Vander, parce que la prochaine fois, on reviendra à huit ! Et cette fois-là, on regardera sous les lits ! » ...Mais pitié. Et moi je suis censé ressentir de l’angoisse face à des rigolos comme ceux-là ? Et Vander à qui il ne vient jamais à l’esprit de planquer ses gamins ailleurs. Et ces gamins qui font toujours les mêmes reproches à Powder qui fait toujours les mêmes conneries de gros boulet…

D’un côté la série s’étale bêtement sur des points comme ceux que je viens de vous citer en guise d’exemple, et de l’autre elle expédie des retournements de situation en un tour de manche : Jayce va se suicider ? Eh bah il suffit juste de discuter cinq secondes avec Viktor pour que soudainement il n’y paraisse plus rien. Deckard refuse de boire son Kambucha à la myrtille ? Eh bah en seulement trois phrases, il se laisse convaincre par Jafar. Et je suis sympa, je ne vais pas parler de cette cruche de Powder / Jinx qui oublie en trois secondes tout ce que sa sœur a pu faire pour elle pour aller ensuite se jeter dans les bras du type le moins rassurant du monde. Non mais… The Wire ? ...Franchement ?


Rien n’a vraiment de sens. Et comme je le disais déjà plus haut : rien n’a vraiment d’impact non plus. C’est que l’écriture de cette série a aussi ce fâcheux défaut de tout désamorcer sitôt lance-t-elle un dialogue. Tout est systématiquement verbalisé, explicité et surligné, ne laissant aucune place au mystère, à l’incertitude ou à la tension. Vander, Silco ou Jess infuseraient tellement plus d’autorité en se taisant, mais non. Au lieu de ça, ils jacassent. Et le pire, c’est qu’à l’image de tous les autres secteurs créatifs, ils jacassent souvent pour déblatérer des généralités, répéter régulièrement ce qu’on sait déjà, et surtout trahir un manque cruel de réflexion de la part de leurs auteurs sur ce qui est censé les animer.

Prenons Vander. Il est censé être le gros dur du quartier ; le mec à qui on ne chie pas dans les bottes ; celui qui te loupe pas si tu la lui fais à l’envers. Et pourtant, à aucun moment de la première saison, on ne voit Vander taper du point sur la table ou ne serait-ce faire figure de vrai caïd des bas quartiers. Marcus débarque avoir trois péquins dans son bar et on voit le visage de ce pauvre Vander soudainement se déliter, peinant à masquer son angoisse et son malaise. Non mais franchement, ça c’est un gros dur ? Vous êtes sûrs ? Même chose quand Vi passe son temps à lui désobéir : aucune engueulade de la part de Vander ; pas de punition ; pas de séquestration ; pas de rappel à la rudesse matérielle du monde. Vander, c’est juste un tonton millénial démissionnaire : il te fait une leçon bateau puis passe à autre chose. Ce mec est écrit comme s’il était prof d’un lycée de centre-ville. À un autre moment, dans l’épisode 2, le gars joue son meneur d’hommes dans une conversation à bâtons rompus où chacun hurle sa tirade à tour de rôle, lançant des invocations morales en guise d’arguments. Non mais oh ! On n’est pas censé être à une AG d’Extinction Rébellion, là ! Où est l’appel au rapport de force ? Où est l’appel à la saignée ? À la vengeance ? Au respect du ter-ter ?


Ce machin donne tellement l’impression d’avoir été écrit par des gens d’intérieur que ç’en est pour moi totalement désarmant. Rien d’étonnant qu’en conséquence, les multiples tentatives d’instants dramatiques – louables par principe, j’en conviens – tombent au final toutes systématiquement à plat tant ils n’apparaissent à mes yeux que comme des figures imposées de séries pour ados.

Oh non ! Les deux acolytes dont on ne savait strictement rien en dehors de leurs stéréotypes de base sont mooooorts !!! Mais c’est tellement une peeeerte ! Je m’étais tellement attaché à Tank-à-lunettes et Touffe-crocheteur-de-serrures !!! (Comment s’appelaient-ils déjà?)

Oooooh et puis Jinx culpabilise trop d’avoir fait de la dé ! J’aurais tellement pu avoir de l’empathie pour elle si seulement elle avait su être autre chose qu’une banale accumulation d’actions stéréotypiques totalement incohérentes !

Non mais, voilà quoi…


Et donc, ça, ce serait du « Zola steampunk » ? De la « tragédie naturaliste » ? De l’équivalent à « The Wire » ? Non mais soyons sérieux deux minutes. Moi je veux bien qu’on prenne son pied devant cette série ; là-dessus je n’ai aucun le souci. Par contre, sachons a minima raison garder et appréhender les choses avec un minimum de sens critique.

Steampunk, je veux bien. Mais Zola, pas du tout. Tragédie, dans l’intention, j’entends bien. Mais « naturaliste » – par pitié ! – ouvrons un dictionnaire. Dans cette série, on ne voit jamais les gens d’en bas crever de faim, lutter au quotidien pour obtenir ses moyens de subsistance. On ne voit même jamais personne bosser dans ce film. À Zaun, les habitants sont soit accoudés au zinc de la Dernière goutte, soit en train de bavasser dans leurs dortoirs, soit à s’amuser aux tirs de fête foraine. Et attention : moi je m’en fous qu’Arcane ne soit pas une tragédie naturaliste à la Zola hein ! Quoi qu’ait pu en dire Bolchegeek dans sa vidéo, j’aurais fini par prendre ce qu’on m’aurait donné et je me serais contenté de ça. Mais là, force m’est de constater qu’Arcane n’a foncièrement rien de plus ni rien de moins qu’une série pour ados lambda. Alors, pitié, redescendons un peu sur Terre.


Reste donc cette question en suspend : mais, dans ce cas, si cette série est si quelconque, pourquoi un tel succès d’estime ? Pourquoi ces nombreuses recommandations presque toutes unanimes ? ...Et qu’est-ce qui est arrivé à Bolchegeek pour qu’il s’enflamme à ce point à partir de ce qui reste pourtant à mes yeux qu’un pétard mouillé ?

Sans surprise, les réponses les plus censées et les plus convaincantes que j'ai pu trouver sur le sujet, elles étaient ici, ici et ici. Bref, elles étaient sur SensCritique. ;-)

Quand on lit en effet les critiques les mieux référencées, on ne se voile pas trop la face et on assume : Arcane, ça n’a rien de révolutionnaire, mais il faut reconnaître que c’est très beau et que ça peut suffire à séduire le chaland. Voilà, pour ma part, le genre d'analyse pas trop compliquée qui permet d'expliquer comment une série foncièrement basique parvient malgré tout à se trouver un public enthousiaste. Mais alors dans ce cas, qu'est-ce qui est arrivé au Bolchegeek dans toute cette histoire ? Pourquoi s'est-il inventé tout ce trip à base de Zola steampunk ? Qu’est-ce qui lui a pris au juste ?

...Et puis, qu’est-ce qui a pris aux autres qui ont tenu des discours plus ou moins similaires ?! Parce que, bon, il ne s’agirait pas non plus de faire porter le chapeau au seul Benjamin Paturaud, tant mes autres connaissances et éclaireurs ont aussi versé dans ce genre d’éloges. Non mais – encore une fois – on nous a quand même parlé de Zola steampunk, pour rappel…

Ce délire – qui plus de la part de personnes chez qui je me retrouve généralement – j’avoue que je ne me l’explique pas… Ou plutôt si. En fait, je pense avoir trouvé un élément d’explication qui me semble plutôt probant et qui, l’air de rien, ne me rassure pas tant que ça sur ce que ça dit de notre époque. Cet élément explicatif, je l’ai trouvé dans un passage assez particulier de cette fameuse vidéo de Bolchegeek ; un passage que l’auteur livre comme une sorte d’aparté, dans un style plus léger, non écrit, et qui tiendrait presque de la petite confidence. Ce passage, d’apparence anodine, c’est celui qui, pour moi, dit finalement tout :

Il y a quand même du fan service dans Arcane… Quand même… Et notamment des éléments de gameplay. Mais là où ils sont trop forts [les auteurs d’Arcane], c’est que, par exemple, […] le climax de la saison 1 où [Jinx] fait un truc que je ne spoilerai pas, […] c’est une scène hyper forte, tu te dis : « putain, mais tout va être chamboulé, et c’est trop grave ce qui se passe ! » Et ce qu’elle fait, c’est littéralement son sort ultime dans le jeu. Et moi, je suis désolé, mais c’est un truc d’écriture qui est génial. Et le truc qui est trop bien sur le fan service, quand tu connais le jeu, [c’est que] tu sais ce que vont devenir les persos, un peu. Par exemple, tu vois la scène où ils vont récupérer leurs équipements emblématiques. Tu as le truc de joueur de te dire « Yes ! Vi a récupéré ses gants ! Jayce, il a son marteau bizarre chelou et tout », et tu as la scène fan service où il défonce des méchants avec. C’est trop stylé et tout… Et là où tu vois qu’ils sont trop malins, c’est qu’ils font cette scène fan service – et je ne vais pas spoiler – mais pour ceux qui se souviennent, il se passe un truc à la fin de cette scène qui fait qu’en gros, tu te tapes deux minutes de « Yeah ! Trop cool ! La baston ! Les pouvoirs ! Les personnages ! Trop cool ! C’est trop bien ! C’est comme dans le jeu ! » et il se passe un truc, mais je trouve que ça se voit que les gens qui ont écrit cette série sont des gens qui réfléchissent et qui ne font pas des réunions [où on se dit] : « Ah bah là il faut qu’elle fasse son sort de ça ! Là, il faut qu’il fasse son sort de ça ! Là, il faut qu’il fasse sa réplique du jeu gnagnagna… Ces clins d’œil de merde de trucs Marvel pourris… Ils les ont mis, mais ils les ont mis d’une façon hyper intelligente, quitte à carrément réfléchir à […] qu’est-ce qu’on peut raconter avec le sort ultime de Jinx...

Donc, si je résume bien, d’après Bolchegeek, le truc d’écriture qui est « génial », qui nous montre que les gens qui ont écrit cette série « sont des gens qui réfléchissent » et qui ne font pas des « trucs Marvel pourris », c’est qu’ils ont pensé à intégrer de « façon hyper intelligente » les éléments de fan service, au point d’aller jusqu’à se poser la question de savoir ce qu’on pouvait raconter avec le sort ultime de tel personnage… Alors moi, je veux bien hein, mais est-ce qu’à côté de ça, on peut s’attarder deux secondes sur ce qui est aussi dit de ces scènes et qui, moi, m’interpelle quand même un peu ? Est-ce qu’on peut parler du « marteau bizarre chelou » et de ces « deux minutes de "Yeah ! Trop cool ! La baston ! Les pouvoirs ! Les personnages ! Trop cool ! C’est trop bien ! C’est comme dans le jeu !" ? N’y aurait-il pas là une sorte de reconnaissance explicite, de la part du geek bolchevique, sur la nature réelle du spectacle fourni ?

Parce que, bon, les mots qui sont venus spontanément à Benjamin Paturaud pour nous parler de ces deux scènes fortes, ça a quand même été « trop stylé » et défonçage de « méchants »… Et si je veux bien concéder au bolchevique qu’effectivement, Arcane c’est ficelé plus intelligemment qu’un Marvel, d’un autre côté, j’aurais envie de lui répondre qu’il existe aussi d’autres référentiels culturels que Marvel pour juger de l’intelligence d’une écriture. Par exemple, par rapport à d’autres œuvres steampunk comme Steamboy ou le Château ambulant, ça se situe où Arcane ? Et face à d’autres tragédies futuristes naturalistes comme Blade Runner ou Gunm, ça se place à quel niveau ? Et s’il fallait comparer à d’autres produits dérivés comme La grande aventure Lego, voire à des spectacles pour enfants un peu sombres à la Brisby et le Secret de NIMH, que dirait-on de l’écriture d’Arcane ? Dirait-on toujours d’elle qu’elle est si « géniale » que ça ?


Alors, encore une fois, entendons-nous bien : que Benjamin Paturaud se soit régalé devant ses bastons trop stylées, moi, ça me va très bien, hein ! Mais pendant que lui criait devant son écran des « Yeah ! Trop cool ! La baston ! Les pouvoirs ! Les personnages ! C’est trop bien ! C’est comme dans le jeu ! », moi je voyais juste des personnages standards accomplissant un passage obligé convenu d’une série pour ados, sans saisir de raison particulière à ce que ces combats durent deux minutes plutôt que trente secondes. À mes yeux, le marteau bizarre chelou était juste bizarre et chelou, quant à l’attaque finale de Jinx, elle était juste un geste totalement con accompli par un personnage au moins tout aussi con.

Partant de ça, je pense qu’on est clairement en droit de poser deux hypothèses sur cet écart d’engouement entre de spectateurs comme Bolchegeek et des spectateurs comme moi. D’une part, j’ai l’impression que le simple fait de transformer un produit dérivé en histoire à peu près sensée peut suffire aujourd’hui à des spectateurs comme Bolchegeek pour que ça suscite chez eux un véritable enthousiasme. Et puis, d’autre part, j’ai aussi l’impression que le simple fait d’apporter du style et un peu de réflexion d’ensemble à un blockbuster, ça peut aussi leur suffire à embraser leur cœur. Seulement voilà, ces leviers qui ont pu être activés chez eux par Arcane n’existaient manifestement pas chez un spectateur comme moi, et je pense sincèrement que ça tient au bout du compte qu’à une seule raison. Une raison qui porte un nom : Netflix.


Pour l’anecdote, il faut savoir que, dans mon entourage, je connais une autre personne qui estdans mon cas ; c’est-à-dire quelqu’un qui a vu cette série Arcane et qui en est ressortie totalement froide comme un glaçon, ne comprenant pas non plus l’engouement que suscite cette série. Or, ce qui est intéressant concernant cette autre personne, c’est qu’on partage un autre point commun – un point commun qui, je pense, nous distingue de la très grande majorité des adorateurs d’Arcane – c’est que, ni elle, ni moi, nous n’avons d’abonnement à Netflix. Et ça vous paraîtra peut-être anodin, mais pas à moi.

Netflix, l’air de rien, c’est le genre de plateforme qui tend à transformer notre rapport au visionnage des œuvres. En ce qui me concerne par exemple, si je me retrouve à un moment donné face à une œuvre, c’est parce que j’ai fait la démarche d’aller la voir. J’en ai entendu parler, on me l’a recommandée, et en fonction de ce que j’en ai appris, je décide ou pas de franchir le pas. Je ne vais jamais – ou extrêmement rarement – au cinéma parce que j’ai envie d’aller au cinéma, choisissant mon film après coup, en fonction de l’offre disponible. Non. Et c’est d’ailleurs la même chose pour les séries, les livres, les BD ou les jeux. Si rien ne me tente, je ne vais pas au cinéma, je ne sors rien de la bibliothèque, je n’allume pas la console. Chez moi, c’est le désir de l’œuvre qui déclenche le visionnage. Par contre, avec Netflix, ça peut très facilement devenir l’inverse.


On ne s’abonne pas à Netflix pour voir des films ou des séries en particulier ou, si c’est le cas, ça n’est le cas qu’au début, car une fois qu’on est abonné, on ne sait pas comment le catalogue va être par la suite complété. Dans la très grande majorité des cas, on s’abonne à Netflix parce qu’on sait qu’on a des moments réguliers dans la semaine où on aimerait bien se détendre, mais parce que le ciné est loin, parce que le boulot nous a rincés, parce que les petits ont mis du temps à se coucher, on veut juste se poser dans le canapé, appuyer sur un bouton, et se faire servir. Je ne juge pas le principe. Je n’y vois fondamentalement aucun problème. Par contre, force est de constater qu’en choisissant Netflix comme outil central de ses moments de chill, on ne va plus vers les œuvres pour les mêmes raisons.

Avec Netflix, ce n’est pas nous qui allons vers l’œuvre, c’est l’œuvre qui vient à nous. Et que l’offre nous plaise ou pas, on piochera quand même dedans pour occuper la soirée. Si la pioche est bonne, tant mieux. Si elle ne l’est pas, pas grave : elle sera peut-être meilleure demain et, pendant ce temps-là, on se sera au moins détendu face à un truc qui aura su nous occuper l’esprit. Ainsi faisant, l’esprit « plateforme » nous amène à « consommer » du « contenu » culturel en fonction de l’offre et non plus de la demande. On se retrouve dès lors confronté quotidiennement à un standard qu’on subit forcément un peu malgré soi, à moins bien sûr d’accepter de faire cet effort de rompre avec la philosophie du Netflix and chill. Et manifestement, tout Benjamin Paturaud qu’on est parfois, quand on est baigné quotidiennement dans une même soupe culturelle sans saveur, ça finit par nous imprégner forcément d’une manière ou d’une autre. Ça finit par nous faire nous émerveiller facilement quand une audace surgit, quand bien même cette audace n’est relative qu’aux normes de Netflix.


Et moi, c’est clairement là-dessus que j’ai envie de conclure ce billet au sujet d’Arcane.

Qu’on prenne son pied sur cette série, encore une fois, moi ça ne me pose aucun souci en soi. Par contre, au regard de ce qu’est foncièrement Arcane, et surtout au regard de ce qu’est mon rapport à la culture – qu’elle soit populaire ou pas – moi j’avoue que ça m’inquiète grandement.

Parce qu’il est bien gentil le Bolchegeek, à faire dans sa vidéo une opposition entre les méchants distributeurs d’un côté et les gentilles petites mains qui seraient à l’origine du génie d’Arcane de l’autre, mais je pense que, pour le coup, quitte à vouloir imposer une grille marxiste pour justifier de la qualité plus ou moins bonne des œuvres populaires, il aurait été plus pertinent d’invoquer le principe d’aliénation plutôt que cette approche plutôt réductrice de la lutte des classes. Car, pour en arriver à voir dans cette série ado standard, l’équivalent steampunk d’un Rougon-Marcquart, ce n’est plus seulement Zola qu’il faut à nouveau s’enquiller, mais bien l’abonnement au big N qu’il conviendrait désormais de résilier…

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le 6 avr. 2025

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