Qu'est ce qui fait la force de Baron Noir ? Qu'est ce qui fait que cette série se dévore en si peu de temps et désenchante le politique aussi rapidement qu'il en ranime, même artificiellement, la flamme ? Et si la force de la série n'était pas ce pourquoi les personnels politiques ont tendance à être honnis ?
Max Weber définissait en 1917 la notion de "Désenchantement du monde" pour décrire le passage d'une société religieuse à une société sécularisé, se reposant non plus sur des croyances mais sur les découvertes scientifiques. Au cœur de cette analyse se trouvait le principe de redéfinition nécessaire des repères de la société. Ce phénomène de transition repose sur cette translation des repères, mais surtout sur la transition elle-même, qui place l'individu dans l'incertitude et ne sait quand les nouveaux repères pourront être considérés comme acquis. Baron noir, ou plutôt le Baron noir lui-même Philippe Rickwaert, serait ainsi le désenchantement du politique personnifié.
Rickwaert trompe, ment, est cynique. Tout ce pourquoi le personnel politique est en général détesté. La saison 1 l'accable, le montre toujours plus perfide et entêté dans ses desseins de pouvoir et de déstabilisations de l'arène politique. Il détruit tout sur son passage, fonce tête baissée et ne se laisse pas intimider. Il est détestable. Pourtant, comme pour le syndrome de Stockholm, on ne sait s'en défaire. Il intrigue, il sait capter notre attention. Peut-être est-ce parce qu'il est authentique, car lui ne renonce pas.
La réalisation, sobre, efficace et surtout dynamique, sait capter les moments d'errance de Rickwaert, les moments qu'on dirait inutiles voire même surréalistes (comment peut-il accéder au bout du bout de la digue à Dunkerque avec sa voiture ?). Elle l'accompagne, la caméra est peut-être sa plus collaboratrice. C'est toujours cette même impression de connaître Rickwaert qui revient, celle qu'il ne peut plus rien nous cacher. On jubile à ses côtés dans les palais chics de Paris. Et pourtant, même lorsque l'heure de sa repentance vient, la fourberie revient au galop. Par petites touches il est vrai, à doses homéopathiques même parfois. On est alors partagé entre son émotion et la nôtre. On comprend Rickwaert et on comprend d'autant plus pourquoi on pouvait le mépriser.
Le baron noir a détruit son parti à son passage, empêtré le président de la République dans un scandale de corruption le poussant à la démission. Rickwaert finit même en prison et inéligible. Il a désenchanté son monde, révélé sa face obscur. Les petites compromissions qui en deviennent des grandes et qui ne servent pas un intérêt commun transcendant mais bien le sien. La conquête du pouvoir pour le pouvoir. Comment croire au changement de Rickwaert dans les saisons 2 et 3 ? Difficile, d'autant que l'arène politique n'a pas fait sa mue. Derrière un idéal commun, on investit une maison délabrée, que l'on repeint mais qu'on oublie de rénover. Le programme de l'union de la gauche repose sur des acquis communs, sur des visions partagées du futur. Mais les vieilles habitudes ne reviendront-elles pas au galop ? Rickwaert finit ainsi élu président. A quoi bon si c'est pour que nos repères bousculés tout du long de la série en reviennent à leur point de départ ? L'histoire est-elle un éternel recommencement ? Ou bien le désenchantement n'est-il tout simplement pas terminé ?
Et c'est là que réside tout la force de Baron noir, celle de brouiller nos repères avec constance, de les confondre constamment entre la réalité (à entendre : le monde où nous évoluons) et la fiction. Tout paraît loin mais en même temps si proche. Ne reconnaît-on pas Macron en Dorendeu ou plus troublant, Mélenchon en Vidal ? Brouillant tellement les pistes que même la présidence actuelle de la République en vient à imaginer les affres d'un possible scénario "à la Baron noir" pour 2022.
Alors, Baron noir nous réconcilie-t-il avec la et le politique ? On les comprend, mais même les scénaristes ont bien dû mal à imaginer des issues différentes. Dans la dernière saison, Mercier, candidat hors-système, subit un traitement somme-toute réaliste avant de glisser quelque peu vers le grotesque, ou tout du moins la facilité : ce qu'il peut y avoir de pire. Mais plus grotesques encore sont les réactions des autres protagonistes face à Mercier. Le dilemme présenté devient : nous ou le fascisme ? Difficile de concevoir une alternative, bonne ou mauvaise, à un candidat hors-système et qui ne ressemblerait pas à ce que l'histoire nous a déjà montré. Pour reprendre un brin de la pensée de Hannah Arendt, ce n'est pas parce que l'issue d'un événement a eu une conséquence qu'un événement en tout point semblable en aura la même.
La série désenchante, il ne reste plus qu'à réenchanter. Pour cela, il y a l'espoir. Derrière Cyril, fidèle au système avant d'être à son tour désenchanté, que l'on juge ces actions et ces combats bons ou mauvais, le spectateur entrevoit une conquête du pouvoir davantage portée sur les idées et les actions que sur une conquête du pouvoir pour le pouvoir. Baron noir est un coup de force, un pavé jeté dans la mare.