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Deux années après une première saison réussie, Baron Noir s’offre une suite à la hauteur des attentes. Toujours diffusée sur Canal +, la série narre les aventures de Philippe Rickwaert, désormais ex député-maire de Dunkerque mais aussi ex taulard. En effet, la fin de la saison 1 avait vu notre héros, proche conseiller du Président de la République et sorte de « meilleur d’entre nous » sérielle couvrir son patron et endosser pour lui une peine de prison. Remis en liberté dès les premières minutes de l’épisode 1, Rickwaert aura à cœur de revenir au centre du jeu politique mais cette fois-ci dans l’ombre.
La série entremêle réalité et fiction jusqu’à la confusion, cette analyse également.
Concernant le contexte politique général de cette France bis, les scénaristes auront dû s’adapter à la France de 2017 et au nouveau monde macronien tout en s’accrochant à leur trame de base. Ainsi, le PS est toujours au pouvoir et hésite tour à tour entre main tendue à la gauche de la gauche et volonté de clarifier la ligne politique, c’est-à-dire assumer le libéralisme. En résumé, la série nous propose une fusion des quinquennats Hollande et Macron, quelques fois déboussolante mais très souvent instructive. Les personnages eux-mêmes sont d’ailleurs tourmentés par cette coexistence gramscienne du nouveau et de l’ancien monde. Ce dernier a-t-il définitivement disparu ? Et le premier est-il définitivement advenu ? De la réponse à ces questions résultera le choix politique à adopter : l’alliance avec la gauche anticapitaliste comme à l’époque du bon vieux programme commun ou l’alliance de tous les progressistes, du cercle de la raison. Cet enjeu politique sera l’enjeu scénaristique de la saison.
Comme dans la réalité, c’est la théorie des trois blocs qui sera la plus prise au sérieux par le pouvoir en place : face aux « populismes », de droite et de gauche, les bonnes volontés libérales du centre devront s’unir pour préserver la France de l’utopie et de la haine.
Écrites par des anciens proches de Mélenchon et de Julien Dray (baron noir étant originellement son surnom), la série fait montre d’une certaine virtuosité concernant la mise en place des interactions entre personnages politiques, conflits entre idéaux et réalité, collision entre carrière personnelle et réussite collective. Contrairement à House of Cards qui privilégie la psychologie des personnages, la dramaturgie des situations et où le pouvoir n’est presque qu’un prétexte aux situations dramatiques les plus paroxystiques, Baron Noir a à cœur de ne pas laisser le spectateur de côté dans la compréhension des enjeux politiques et électoralistes. Chaque tactique fait l’objet d’un dialogue très explicite entre personnages, dialogues très écrits et même souvent trop écrits ne permettant pas à leurs interprètes d’échapper à ce qui peut s’apparenter à une récitation didactique. Néanmoins, malgré ce défaut notable, la série se laisse agréablement suivre tant les situations politiques imaginées sont finement amenées et pertinentes. Cette saison 2 nous fait mieux comprendre ce qui agite le personnel politique que bon nombre d’éditorialistes présents quotidiennement sur les antennes.
Mais l’essentiel est ailleurs. En effet, ce qu’il y a de plus passionnant dans cette nouvelle saison réside dans l’inconscient qu’elle exprime, dans le non-dit. Elle pose sans le savoir la question du pouvoir des hommes politiques. Comme souvent, on joue sur la polysémie du mot « politique ». Si « le » politique désigne le souci du bien commun, de la vie de la cité, « la » politique fait ressortir dans l’esprit général une lutte vaine pour le pouvoir entre personnages cyniques. Pour quoi lutte-t-on d’ailleurs ? Des postes, son ego, des idées, du pouvoir ? Pour qui lutte-on ? Le peuple ou soi-même ? Bien évidemment le plus souvent, c’est le motif individuel qui fait se mouvoir les hommes et les politiques n’échappent pas à la règle. Et même si certains peuvent être habités de bons sentiments et de grands projets, il faut toujours en amont en passer par l’arène politicienne. Certains y prennent goût au point de s’y perdre comme notre Baron Noir, d’autres plus intello et naïfs préfèrent leurs idées et refusent le combat comme Chevènement, Séguin ou Rocard. Ce sont des perdants magnifiques. Quelque soit ses motivations, dur pour un homme politique de parvenir sans se salir.
Cependant, en 2017, dans le contexte d’apathie générale d’un peuple qui semble avoir laisser avec une certaine indifférence le pouvoir à Emmanuel Macron, cette arène politique peut-elle encore intéresser et passionner les foules ?
Deux sortes de réponses amènent à penser que non. D’une part les masses sont privées d’idéologie, de symboles et d’objectifs et, d’autre part, les gens ont intériorisé le fait que les politiques n’ont plus le pouvoir.
Tout d’abord donc, ce sont les idéologies qui font se mouvoir les foules, les principes, les visions de soi, du monde et de soi dans le monde. Or la victoire de La République en Marche marque l’avènement définitif du libéralisme dans les esprits français, c’est-à-dire la fin des idéologies. Pour chaque sujet, l’actuel Président martèle la même ligne de conduite comme un mantra : « pragmatisme », « sérieux ». En somme des réponses techniques à des problèmes tout aussi technique. Pas question de pensée là dedans, de vision mais simplement de calcul, de machines déréglées à réparer, de maladie à soigner.
Si la politique n’est qu’une affaire de petits ingénieurs, les grands Hommes n’ont plus à intervenir, la foule n’a plus à se rassembler, le peuple n’a plus à se mobiliser. L’avenir et le présent appartiennent aux comptables. Il serait indécent que des politiciens viennent s’immiscer dans cette mécanique, leur lutte ne venant qu’entraver le bon déroulement de processus bien réglés. Plus de faucille ni de marteau à exhiber, plus de rose ni de poing à revendiquer, le parti unique a aujourd’hui une calculatrice pour emblème.
Ensuite, et ce point est encore plus intéressant, la série démontre presque involontairement que les hommes politiques n’ont plus de réel pouvoir. Le premier but de la série est de mettre en scène, il est vrai, non pas la lutte pour le pouvoir mais la lutte pour les postes de pouvoir. Cependant une fois en poste que font les personnages du pouvoir ainsi obtenu ? La série apporte à son corps défendant une réponse claire : rien. Les différents thèmes choisis pour la saison 2 sont sociétaux avec la problématique de la fin de vie et surtout la refonte de la carte scolaire avec la question sous-jacente du communautarisme et de la ghettoïsation. Est adroitement reliée à ce dernier thème la guerre contre le terrorisme, véritable serpent de mer de cette suite d’épisodes et qui permet de montrer la solitude du Président livré à lui-même, face à ses responsabilités.
De la manifestation des associations catholiques ou libertaires à l’embrasement des banlieues ou la manifestation des égoïsmes bourgeois, sans bien sûr oublier les cris d’orfraie des thuriféraires des défenseurs de l’Etat de droit sur la question de la possibilité de tuer les terroristes, la série, véritable laboratoire du réel, démontre à chaque fois la paralysie du pouvoir en place.
Grignoté par le bas par la décentralisation et par le haut par les institutions européennes ou mondiales, le pouvoir politique en France est en plus corseté par l’opinion. D’ailleurs, au fil des épisodes, les politiques sont de plus en plus en retrait et s’illustre alors la montée en puissance d’un rapport horizontal au pouvoir avec les pétitions, les vidéos virales, Facebook, Twitter…
Dès lors, si les politiques sont à ce point impuissants, quel intérêt y-a-t-il à suivre leurs combats de chiffonniers puisque, à terme, aucune décision ne pourra être prise. À partir de là, les campagnes n’ont plus d’intérêt, les meetings sont animés par des militants criant des slogans sans trop y croire et l’abstention explose.
Sentant ce désintérêt, le monde politique, aussi bien celui de la série que réel, cherche des manières de renouer avec les citoyens avec la fameuse ouvertures des postes à la société civile, la moralisation de la vie publique, le non cumul des mandats. Ces mesures sont inspirées par un monde médiatique pensant, sur un prétexte moral que « la politique n’est pas un métier » et que les mandats doivent être exercés par des personnes irréprochables. Mais le peuple est beaucoup plus concret et ressent fortement l’impuissance de l’homme politique contemporain. Le pouvoir est ailleurs, il est parti dans d’autres lieux tels les banques, la Commission européenne, les paradis fiscaux, les agences de notation, chez les grands patrons… Autant de lieux que l’on ne voit jamais dans la série.
Contrainte par le réel de s’adapter, cette nouvel saison de Baron Noir continue la chronique d’un monde politique virtuel, très proche du notre. Avec elle, le spectateur voit les derniers éclats d’un vieux monde politique animé par des hommes et des femmes ne vivant que pour les idées et les machinations. Cependant, car désormais sans pouvoir, ces fascinants personnages ne sont plus que les derniers pantins subsistant dans un théâtre d’ombres et ont vocation à disparaître, le pouvoir leur ayant été dérobé. Les aventures de Patrick Rickwaert sont le chant du cygne du politicien en France. https://elogedelacontrainte.wordpress.com/2018/02/07/baron-noir-le-requiem-des-betes-politiques/Baron Noir est un requiem des bêtes politiques.