Finie hier, Better Call Saul représente pour moi un tournant dans l’oeuvre complète de Vince Gilligan et Peter Gould, Breaking Bad est détrôné, et le filou Goodman connait son arc final dans l’univers série parmi les plus emblématiques des années 2010. S’attarder sur la qualité de mise en scène, sonore et d’interprétation de Better Call Saul n’est pas le but ici. D’autres le mettront en forme mieux que moi, mais en 2 mots, c’est parfait, c’est transcendant. La photographie, l’ambiance musicale, le scénario, la maîtrise de la tension, et le jeu d’acteur érigent Better Call Saul comme un des objets culturels les plus marquants de ma vie de consommateur boulimique de séries.
Ce sur quoi je souhaite m’attarder, c’est comment le créateur de Breaking Bad arrive à créer une empathie, une admiration, pour des personnages franchement détestables.
Walter White est un égomaniaque, qui, dans une course effrénée contre sa mort inexorable, dresse le théâtre de sa mort, sous le prétexte assez fumeux de « mettre sa famille à l’abri ». Un empire pour donner du sens à une vie qui n’en a pas été une. Un pleutre fragile, mu par une confiance en lui que rien ne saurait ébranler, et un masculinisme qui le rend physiquement incapable de demander de l’aide, traiter sa peur de la mort, bien réelle. Bryan Cranston crève l’écran, voire peut-être trop, et 5 saisons à suivre ce monstre se révèlent éprouvantes (dans mon cas).
Better Call Saul au contraire témoigne d’une pulsion de vie, d’avoir toujours plus, d’accumuler la richesse, de se faire un nom, et d’être célébré comme un dieu vivant. À l’image de son frère Chuck, Jimmy McGill veut être celui qui épate tout le monde, peu importent les conséquences. Saul est l’incarnation d’un frère en deuil, incapable de traiter ses sentiments ambivalents envers le monstre qu’était son frère. Dans une fuite en avant pour ne pas avoir à confronter l’horreur de ses actions et sa responsabilité, il enterre son passé au profit d’un personnage un peu ridicule, roublard, mais diablement inventif et doué. Bob Odenkirk arrive à faire vivre son personnage, secondaire à l’origine, et à lui donner une substance qui l’érige en l’un des meilleurs protagonistes du paysage des séries du 21e siècle.
Alors pourquoi on adore ces raclures, au delà de l’interprétation ? Parce qu’on les comprend. De manière très simple, à leur place, avec les mêmes cartes en main, aurions-nous fait la même chose ? Vince Gilligan et Peter Gould réussissent un exploit, celui de construire un cadre qui justifie les actions les plus horribles.
Car ce que Vince Gilligan a le mieux réussi, c’est la construction d’un univers désenchanté, le Nouveau Mexique, terre inhospitalière au possible, image « vivante » de la mort du rêve américain. La médiocrité colle à la peau des personnages comme leurs chemises de mauvaise qualité dans la chaleur du désert américain. Le réalisateur propose alors une modernité qui donne le bourdon, l’usage de la lumière naturelle crée des espaces extérieurs hostiles, inconfortables, et l’usage de la lumière naturelle intérieure en contrepartie propose des espaces froids, dénués de vie. Ce cadre déprimant devient alors le terrain de jeu pour justifier les actions de nos personnages : fuir le quotidien, une mort avant la mort.
Par le biais d’une photographie millimétrée et d’un usage des montages qui montrent le temps qui passe comme un moment « non-vécu », la vie quotidienne, la routine est diabolisée. Alors comment détester unilatéralement celles et ceux qui essaient, par tous les moyens, de s’élever au dessus de la masse pour enfin vivre « The Game », la vie à 100% où adrénaline, danger et extasie se côtoient pour donner du sens à une vie dans une classe moyenne assommée par la mondanité et la bassesse d’esprit ?
La normalité et l’obéissance aux règles dans Breaking Bad et Better Call Saul sont des pièges à c*ns réservés pour les autres. À quoi bon vivre une vie sans rebondissements ? Quitte à se brûler les ailes, détruire des vies innocentes, ou mettre en danger sa famille, autant faire les choses jusqu’au bout. A l’image de la cigarette que partagent Jimmy et Kim (l’immense Rhea Seehorn, honteusement snobée par les prix qui auraient du la couronner comme une actrice exceptionnelle), rare moment de couleur dans ce futur en noir et blanc, le danger et la mort sont des forces qui paradoxalement, permettent de vivre la vie telle qu’elle doit être vécue.
« I did it for me. »