Ceci n'est pas vraiment une critique organisée de la série, elle n'est ni très claire ni concise. C'est plutôt devenu une espèce d'essai à moitié cohérent, névrosé, inachevé sans doute et centré principalement sur l'infinie richesse du propos de Welcome to the NHK et du personnage de Satou. Pour les néophytes de la série je spoile à balle donc soyez prévenus. De toute façon ce papier donnera plutôt du grain à moudre aux connaisseurs de la série pour approfondir les choses. Allez hop on avale son xanax et on est parti !
Welcome to the NHK débarque avec un prémisse qui laisse songeur. Pas rêveur non, plutôt son jumeau cauchemardesque : Satou est un hikikomori depuis maintenant 3 ans, c'est à dire qu'il ne sort pas de chez lui à part pour faire ses courses, est effrayé à l'idée d'avoir un contact avec qui que ce soit et se sent écrasé par la pression sociale qui est mise sur ses épaules de citoyen japonais. C'était bien parti pour être glauque et désespéré comme savent si bien le faire les nippons. D'ailleurs la série sait être volontiers sordide, souvent pessimiste et à l'occasion abjecte. Mais tout n'est pas si simple : Welcome to the NHK est aussi pleine d'humour. Elle n'oublie pas que même dans les plus grands malheurs (surtout dans les plus grands malheurs) il y a toujours le besoin, la nécessité vitale de trouver du risible. Pour rebondir, pour ne pas s'offrir en sacrifice à l'angoisse et au vide. Pour rester en vie. Et donner corps au bon mot plein de sens de Pierre Desproges : « Quelle autre échappatoire que le rire sinon le suicide, poil aux rides ? ». Et disons-le d'emblée, c'est probablement la plus grande force de la série que de parvenir à rebondir par une pirouette comique pour continuer à approfondir ses thématiques sociales et personnelles et élaborer son propos sans virer au glauque pour le seul plaisir pervers de donner la misère humaine en spectacle pour les spectateurs assoiffés de larmes et de sang.
Montre moi tes potes et je te dirai qui tu es.
La grande question que semble poser la série est la suivante : « qu'est-ce qu'un hikikomori ? ». Celle à laquelle elle répond, du moins en partie, serait plutôt « qui est Satou ? ».
Satou n'est pas dépressif. Satou n'est pas non plus paranoïaque. Et Satou, enfin, n'est pas vraiment oppressé par son entourage qui attend de lui un certain style de vie. Mais pourtant, me direz-vous, Satou est reclus chez lui, est effrayé à l'idée de voir quiconque et parle avec son mobilier lors de ses crises de panique. Mais le développement du show permet de mieux cerner ce qui bloque vraiment notre anti-héros. Cela, on le comprend à mesure que l'on voit Satou se lier avec les autres personnages. Ce sont eux, dans les problématiques qu'ils incarnent, qui nous renseignent sur ce dont souffre Satou. Ou plutôt, ce dont il ne souffre pas.
Satou paraît parano, et il pourrait sûrement l'être s'il n'était pas trop paumé pour être incapable d'emprunter une route en particulier. Mais les épisodes qui font intervenir sa senpai Hitomi laissent entendre qu'il ne tient ses théories conspirationnistes que de cette nana, qui elle est une vraie cinglée en la matière. Là où Satou est constamment hésitant et peu consistant en la matière, Hitomi donne l'image d'une personne résolue. Les conspirations sont partout, il ne peut en être autrement. Calme et d'apparence sûre d'elle, Hitomi vit avec l'assurance de celle qui connait une vérité dont personne n'est conscient. Lorsque Satou parle de conspiration, c'est sous l'angle du risible aussi bien par effet de mise en scène que par le comportement du personnage ; lorsque Hitomi évoque le sujet, c'est avec un sérieux glacial. Jusqu'à l'arc du suicide collectif, où une fois de plus Satou fonce tête baissé dans quelque chose auquel il ne comprend rien, parmi les 4 candidats à l'autolyse de groupe Hitomi demeure la seule à être fermement résolue. Si Satou a cette impulsion finale de sauter à sa perte, ce n'est pas à cause d'une quelconque résolution ferme, mais parce que c'est la première chose qui lui passe par la tête pour éviter la frustration et la honte d'avoir été mené en bateau, on me pardonnera l'expression, durant tout cet arc, et pour éviter de voir sa vie fantasmée avec Hitomi voler en éclat.
Une cause souvent évoquée lorsqu'on évoque le pourquoi du syndrome hikikomori est la pression sociale. On le sait bien, au Japon, que les attentes de la société et de l'entourage peuvent être assez faramineuses sur le pauvre citoyen. Mais Satou a-t-il vraiment cette pression ? Il peut sans doute l'évoquer à quelques reprises, mais là encore ne s'agit-il pas de phrases toutes faites qu'il a entendu à droite à gauche, probablement à la télé devant laquelle il passe une bonne partie de son temps ? Après tout ses parents l'entretiennent sans qu'il soit fait mention dans la série d'une quelconque attente de leur part envers leur fils – bien que Satou se mette occasionnellement la pression lorsque sa mère décide de venir lui rendre visite. En l'état, il est relativement libre de faire ce qu'il veut de sa vie. En revanche, il y a bien quelqu'un qui va voir sa vie être prise en main par quelqu'un d'autre : Yamazaki. Voisin de Satou, otaku vantard et colérique, il va entrainer Satou dans le monde des visual novels et des lolis par milliers. Et s'il apparaît sûr de lui en toutes circonstances, malgré ses propres complexes et misères amoureuses, le dernier tournant de la série nous fera découvrir les véritables enjeux de son personnage. Lui qui apparaissait comme la seule constante solide de la vie récente de Satou, plus solide finalement que Misaki envers qui Satou entretient des sentiments ambivalents ; le voilà qui dévoile qu'il ne faisait qu'échapper depuis tout ce temps à un destin tout tracé qui finit par le rattraper. Appelé à la ferme pour prendre le relai de son père souffrant, obligé de se soumettre au désir parental – lui qui est d'ordinaire si borné et indépendant –, la rupture est brutale et définitive. En plus de nous déstabiliser profondément en remettant nos certitudes en cause, ce virage de la vie de Yamazaki terrasse l'équilibre précaire de Satou. Qui, quasiment privé de revenus à ce stade de la série, n'a alors plus que Misaki pour le maintenir à flot.
Aaah... Misaki. La souriante Misaki. L'ingénue Misaki. La frêle Misaki. L'intrigante, incompréhensible Misaki. Ange descendue des cieux pour sauver Satou de sa vie misérable, ou bien geôlière égoïste en proie au désespoir ? La progression du scénario vient donner de nombreux visages à Misaki. De l'inconnue aux intentions douteuses on passe par l'amie providentielle, la potentielle amante... un premier cycle se brise lorsque Satou vit la chute du mythe de leur rencontre. Misaki n'est pas tombée du ciel non, elle fomente un plan depuis longtemps, depuis sa fenêtre là haut sur la colline, qui donne droit sur la baie vitrée de l'appartement de Satou, appartement dont son oncle est le propriétaire. Doute révélé au grand jour lors de cette scène grotesquement brillante où Misaki avoue à grands cris avoir besoin de son protégé car il est la seule personne de sa connaissance à être plus misérable, plus pathétique qu'elle-même. Comme s'il n'était pas déjà suffisamment confus, Satou sait de moins en moins où donner de la tête. Alors que la vérité est si simple... d'une simplicité mortelle. Misaki a eu une vie de merde, tout y est passé des abus aux abandons. Alors qu'elle atteint ses 17 ans, le seul moyen qu'elle trouve pour se maintenir à flot est de préparer un « projet » pour Satou. Enfin pour Satout et elle. Un contrat qui est censé les lieux tous les deux jusqu'à ce que la mort les sépare. Un contrat qui aurait pu s'avérer pervers vu qu'il oblige Satou à prendre soin de Misaki sous peine de lui devoir une somme de 10.000.000 yens, mais qui perle tellement le pathétique qu'il ne peut être autre chose que risible. Pourtant, pour une fois, on n'a pas envie de rire. Parce qu'on sent bien qu'on arrive au bout, que c'est la dernière chance de la jeune fille, le triste aboutissement de la relation qu'elle a « orchestrée » avec Satou. Parce qu'on a pas besoin de voir la réaction dégoûtée de Satou pour deviner l'aversion qu'il affichera pour cette proposition en complet décalage avec ses propres attentes. On sait alors, avec certitude, que ces deux-là ne se trouveront pas. Trop de cachotteries, de mensonges, de fantasmes développés à l'insu de l'autre.
Alors tout s'accélère et le twist de la série poursuit son office ; alors qu'on pensait devoir se soucier avant tout de la situation préoccupante de ce bougre d'âne de Satou, celui-ci s'avère capable de survivre à ses échecs successifs dès lors qu'il atteint le fond du fond, et de se bouger pour trouver un job – ingrat, mais c'est déjà ça. Misaki en revanche, une fois confronté à cette impasse, s'en va mourir au loin. C'est alors à Satou qu'il incombe de tenter de sauver sa pseudo-sauveuse dans un épisode final si anthologique, si fort et riche en retournage de boyaux émotionnel que je préfère ne rien en dire pour ne pas en dénaturer l'impact. Alors quoi ? Satou, dépressif ? Mon œil. À côté du vrai visage de Misaki, il donne l'air d'un gamin désorienté et capricieux.
Satou-kun est confus. Il s'inflige des dégâts.
Satou : « Question : Pourquoi vouloir vivre une vie de hikikomori ?
Réponse : parce que ses vêtements, sa nourriture et sa maison lui sont garantis. Vu qu'il trouve toujours un moyen de s'en sortir, il peut se permettre de continuer à vivre comme ça. Sans vêtement, sans nourriture ou maison, tu n'as pas d'autre choix que de travailler, à moins de te préparer à mourir. »
À force de parler de ce qu'il n'est pas, on en oublierait presque de lever le voile sur la véritable condition de Satou. Pas simple car une fois la série finie, et à ce stade de la réflexion, on ne peut arriver qu'à une seule conclusion, qui vous paraîtra peut-être décevante tant elle semble éculée et facile : Satou est humain.
Tout ça pour ça ? Ouais, tout ça pour ça. Ce n'est pas qu'il n'était pas humain au début de la série, c'est plutôt qu'il était hikikomori. Là encore, ce n'est pas non plus qu'il cesse de l'être à la fin de la série – quoique sa condition se soit améliorée – mais plutôt qu'on cesse de le voir à travers ce filtre qui semblait avoir été trop parfaitement taillé pour lui. Satou dit qu'il est un hikikomori. Misaki le « prend en charge » parce qu'il est un hikikomori (pour en tirer profit sur le long terme). Yamazaki est révolté par sa condition de hikikomori et passe le plus clair de son temps à lui remonter les bretelles et lui donner des trucs à faire. Hitomi aussi tire profit de sa situation pour l'attirer avec elle dans une « mission suicide ». Megumi va jusqu'à renouer contact avec lui parce qu'il est un hikikomori pour l'attirer dans une arnaque. Seulement toutes ces péripéties nous ont montré la distance qu'il existe entre l'étiquette et celui qui la porte – contre son gré ou non. Satou lui-même invoque ce statut quand ça l'arrange ; s'il refuse de sortir de chez lui pour affronter ses responsabilités il n'a qu'à s'en décharger en se criant à lui-même : « Ha ! Il n'y a aucune chance pour qu'un hikikomori sorte de chez lui deux jours d'affilée ! ». Lorsque les personnages s'étonnent de ses faits et gestes, eux-même ont plus ou moins cette formulation : « un hikikomori n'est pas censé faire ça » (par exemple lorsque Satou se met à sortir naturellement de chez lui sans se rendre compte que c'est anormal). À l'image de Yamazaki balançant en fin de série une de ses vacheries habituelles : « Tu oublie que tu es un hikikomori. Il est impossible qu'un hikikomori sorte pour vendre des trucs ». C'est le serpent qui se mord la queue, les proches de Satou qui le recadrent sans s'en rendre compte dans cette catégorie mortifère dont il s'était enfin momentanément échappé.
Enfin voilà, le 24ème épisode est fini, maintenant plus personne n'est dupe (je l'espère) : un hikikomori c'est une façade. Derrière laquelle Satou s'abrite lorsqu'il doit justifier son inactivité, et dont les autres se saisissent pour en faire ce qu'ils veulent. Un hikikomori, c'est un point de repère qu'exige la société nippone pour mettre dans une case ceux qui ne peuvent se résoudre à entrer dans les autres. Pour certains, ce que je viens d'écrire sonnera sans doute comme une banalité éhontée, mais vu la manière dont en traite la série c'est avec plaisir que j'insiste dessus.
Bon, si on fait abstraction du terme, il est quoi finalement Satou ? Eh bien en bon protagoniste, il est confus. Le mot est lancé. Il paraît simpliste lui aussi, mais pourtant si on cherche le plus petit dénominateur commun au comportement erratique de Satou, c'est bien qu'il semble nager dans la plus totale confusion. Confusion à propos du moindre de ses choix de vie, de la moindre de ses actions, du moindre de ses sentiments. Satou n'a aucune idée de ce qui l'anime dans la vie, et la simple perspective de devoir s'en soucier le terrifie jusqu'à mettre au point des stratagèmes abracadabrantesques. Jusqu'à évoquer maladroitement la conspiration de la NHK, par exemple. Et le plus facile, pour ne pas avoir à affronter toutes les questions existentielles et pratiques que notre monde a à offrir, c'est encore de rester cloîtré en soi et de garder tout à l'extérieur. L'isolement de Satou dans son appartement n'est qu'une métaphore de ses luttes intérieures. Il n'a pas peur du soleil, ou de la foule, enfin pas réellement, il a surtout peur de se confronter au regard des autres ; à force de repousser l'inévitable, de se frayer une place de plus en plus réduite au milieu des sacs poubelles symbolisant ses responsabilités laissées en plan, il se condamne à ce que l'extérieur lui apparaisse de plus en plus hostile. Ce n'est pas pour autant que Satou est inactif. Certes il ne fait rien d'utile à la société, mais ce n'est pas pour autant qu'il n'est pas rongé par le besoin de faire quelque chose. Ses rencontres avec les divers persos lui en fourniront l'occasion ; devenir lolicon, photographier des écolières à la sortie du collège, bosser sur un scénario de jeu, partir en voyage, s'enfoncer dans un jeu en ligne... Parce qu'elles sont dictées par la nécessité vitale d'occuper son cerveau et son corps tandis qu'il évite d'avoir à se pencher sur sa vie, ces activités sont toujours abordées sur le mode d'une consommation instinctive et addictive. Lorsqu'il se met à chercher des photos de nanas sur internet il y passe sa journée et collecte inlassablement une énorme collection, lorsqu'il part en voyage avec sa senpai tout juste retrouvée c'est sur une décision prise à la va-vite basée sur des fantasmes absurdes et concoctés à toute vitesse. Etc, etc. Pas parce qu'il n'a rien à faire de la journée, comme il l'invoque pour justifier son ascension soudaine sur son MMORPG, mais parce que ne rien faire ramènerait les interrogations pressantes dont il ne veut rien savoir. Satou est plus que ravi d'avoir quelque chose pour occuper son attention et dans lequel s'engouffrer pour ne plus penser à rien d'autre. Sa discussion avec le frère de Megumi, hikikomori lui aussi – mais à un stade bien plus « profond », « aigu » ou « grave » que Satou – achèvent de faire douter Satou et de le mettre face à l'inavouable : il n'est pas encore trop tard pour qu'il s'en sorte, pour affronter ses peurs.
Au delà du caractère psychologique fascinant de la façon dont est traité le personnage de Satou, il est également le sujet parfait pour permettre à la série d'aborder une vaste quantité de sujets et de problématiques ; Satou est tellement manipulable qu'il peut s'engager dans n'importe quoi sans que cela paraisse random ; son caractère et sa problématique permettent de tout justifier. Ajoutons à cela le talent de la série pour le burlesque et voilà de belles et riches aventures pathétiques en perspective...
Où l'on cause du tube de Prozac à moitié plein
On peut d'ailleurs en venir directement à une question qui vient souvent à l'esprit de ceux qui s'interrogent sur la série : est-elle pessimiste ? Optimiste ?
Il est assez facile de voir en quoi on pourrait voir Welcome to the NHK comme une série pessimiste. On passe d'échec en échec, les persos ont une vie de merde et si le ton est assez léger sur les premiers épisodes, le passage par l'arc « suicide collectif sur l'île de vos rêves » remet vite les pendules à l'heure (quoiqu'il aurait pu être plus marquant et plus soigné à mon humble avis ; pour essentiel qu'il soit, les personnages qui s'y trouvent brossés manquent de relief et parfois même de crédibilité). Plus on s'enfonce dans la série, plus les thématiques évoquées deviennent graves, ou glauques, et plus on se dit qu'il est vain de lutter.
Mais ce serait oublier que pour chaque taquet on a le droit à un éclat de rire. La scène finale de l'arc « île déserte », justement, est également une plongée dans un grotesque qui cherche la caricature – tout en gardant un style de réalisation très réaliste – c'est un de ces moments où Welcome to the NHK nous met au défi de rire. C'est ce que fait la série à chaque fois avec son humour noir ; voir jusqu'à quel point on peut rire des aventures en dents de scie de Satou & cie. Est-ce que les gags marcheront, suffiront à nous faire oublier l'angoisse de la scène précédente ?
S'il sera difficile d'affirmer avec toute l'assurance du monde que Welcome to the NHK est une série optimiste, on peut tout du moins contrebalancer le pessimisme qu'on lui prête. C'est le moment d'évoquer deux personnages clés laissés (volontairement) de côté jusqu'à présent, et reprendre brièvement l'analyse de personnage faite un peu plus haut.
Car l'avant-dernier arc laisse apparaître une nouvelle venue dans le palmarès de ratés notoire : Megumi, et plus tard son frère. Avec « l'arc Megumi », qui montre l'ancienne déléguée de classe de Satou en train de tenter de harponner celui-ci dans une arnaque afin de rembourser des dettes qu'elle-même a accumulé pour venir en aide à son frère (lui aussi hikikomori). Alors on comprend que ce Satou, dont on a déjà établi tout ce qu'il n'était pas ; n'est pas non plus au delà de tout secours. Il n'est pas sous l'emprise d'une dette qu'il ne pourra jamais rembourser, pas plus qu'il n'est si profondément enfoncé dans sa névrose qu'il atteint le niveau d'impuissance du frère de Megumi qui se retrouve à faire souffrir considérablement ses proches tout en en ayant conscience, mais sans trouver pour autant la volonté d'affronter sa peur. S'il n'y avait ce blocage qui empêchait Satou d'aller de l'avant, il suffirait de quelques pas dans la bonne direction pour rétablir un équilibre dans sa vie. Lorsqu'ils apparaissent dans la série, ces deux larrons symbolisent un futur possible qui attend Satou s'il n'améliore pas sa condition. Il deviendrait une nuisance autant pour lui-même que pour ses proches. Le dialogue « virtuel » entre Satou et le frère de Megumi est un des sommets émotionnels de la série, et une source précieuse de compréhension de l'état de Satou et de celui de hikikomori en général. Car finalement, dans ce pénultième chapitre de la série, Satou se retrouve face à un personnage qui semble dire : voilà ce que je suis et que tu n'es pas. Un hikikomori. Pour toi l'espoir est encore permis.
Et pourtant, après avoir posé cet étalon de la réclusion et du désespoir comme un coup de poignard dans notre espoir faiblissant, la série s'autorise un revirement de dernière minute. La société qui emprisonnait Megumi est saisie par la justice. La dette de Megumi est effacée. Et au même moment, son frère qui s'apprêtait à mourir littéralement de faim parce que sa sœur n'était plus à la maison pour lui apporter de la nourriture depuis plusieurs jours, sort de chez lui pour aller mendier de la nourriture au restaurant du coin. Et se retrouve du même coup avec un boulot de livreur dans la poche. Comme en prédiction à la situation de Satou dans les épisodes finaux. Ces deux-là finissent par s'en sortir par un improbable coup du sort. Pessimiste, la série ? Si eux peuvent émerger d'une merde si noire, alors qu'est-ce qui nous empêche d'espérer qu'il en soit de même pour Satou ? De même, Hitomi – même si on peut décemment douter de sa sincérité vu la duplicité dont elle est capable – semble s'être stabilisée (résignée?) avec son copain chiant comme la pluie et attendre un bébé. Quant à Yamazaki, envoyé contre son gré chez les bouseux et se plongeant dans l'alcool pour supporter sa vie à la ferme, il clôt la série en annonçant un mariage imminent avec une fille dont il semble amoureux. Il ne reste finalement que Satou, qui patauge certes avec son job pourrave à la circulation, mais au moins il patauge dans la bonne direction. Et s'il a vécu des moments sacrément extrêmes et dérangeants avec Misaki dans le dernier épisode, ils en ressortent tous les deux grandis, à la fois fragilisés par leurs impulsions calamiteuses et renforcés par la réalisation de leurs sentiments réciproques. Ils quittent la série avec une relation bien plus saine qu'au départ. Ultime pied de nez au prémisse, ils s'engagent tous les deux par écrit à se constituer comme « otages » volontaires de la société maléfique NHK pour contrôler leurs pulsions auto-destructrices. Satou et Misaki semblent avoir suffisamment de distance avec leur délire pour en jouer et le manipuler à leur guise pour se créer une assurance vie. Et enfin, commencer à se reconstruire.
Alea jacta est
Il serait peut-être temps de conclure cette interminable logorrhée, qu'en pensez-vous ? Je n'aurai même pas évoqué les qualités formelles d'un animé que je trouve superbement réalisé. Pas très bien dessiné, ni même bien animé, ses choix de mise en scène cependant épousent parfaitement son propos : réaliste, avec juste ce qu'il faut de fantaisie aux moments clés (lors des crises d'angoisse de Satou l'animation se transforme soudainement, déployant une imagerie saisissante et des scènes cauchemardesques sorties d'on ne sait où). Le trait peu assuré du dessin renforce même, quelque part, le côté branlant de ces personnages un peu crétins et cabossés. La musique elle est envoûtante et teintée d'une étrange mélancolie bienheureuse, qui contribue grandement à donner à la série son atmosphère bien à elle.
J'espère en tout cas avoir suffisamment défendu mon cas pour pouvoir crier sur tous les toits que Welcome to the NHK est une série vitale. Pas seulement parce que, sans être du tout dans la situation de Satou, je me suis retrouvé dans beaucoup de ses raisonnements et me suis reconnu bien plus souvent que je n'ose l'admettre, que j'ai adoré détester cet idiot de poltron avant de m'identifier progressivement aux enjeux de son personnage. Mais parce que, bien loin de traiter d'un syndrome isolé, la série aborde en son cœur et avec un ton unique, des thématiques universelles au rythme desquelles tout un chacun est capable de vibrer, j'en suis intimement convaincu. Pour peu qu'on laisse de côté sa mauvaise foi, quitte à ce qu'on en ressorte excédé, écœuré ou troublé.
Je le répèterai une dernière fois, avec toute l'emphase dont je suis capable ; une série vitale.