En général, quand on m’annonce qu’on a une bonne chaine de « vulgarisation » à me faire découvrir sur Youtube, c’est marrant mais la plupart du temps je m’imagine assez vite un gars (ou une nana) filmé(e) en face-cam pendant vingt bonnes minutes et qui, dans un cadre désespérément fixe, va s’efforcer d’expliquer avec plus ou moins de talent ce qu’il a appris au cours de ses études ou bien dans son boulot. Alors oui, c’est vrai que ça peut être instructif et clair. Après tout, « e penser », « Heu ? Reka » ou bien encore « Veni Vidi Sensi » répondent à cette description, ce qui ne m’empêche pas d’aller y jeter un coup d’œil régulièrement… Mais bon, on ne va pas se mentir non plus, ces chaînes seraient des podcasts audio que ça ne changerait pas grand-chose. Pour le coup c’est vraiment surcharger les serveurs mondiaux pour rien tellement ces chaînes sollicitent le format vidéo sans absolument rien en faire… Et c’est au regard de cela que je trouve que « BiTS » est une émission géniale.
Alors certes, c’est vrai, si « BiTS » est aussi géniale c’est aussi et surtout parce que derrière les concepteurs de cette émission, il y a un sacré monde. Estampée du label « Arté Créative », « BiTS » bénéficie carrément d’un traitement pro qui fait toute la différence. Alors oui, c’est vrai que cela pourra paraitre peu pertinent pour certains de mettre en regard des vulgarisateurs amateurs avec une « grosse » machine produite par « Arte ». Mais il n’empêche que d’un autre côté – et je suis désolé pour tous les autres auteurs que j’ai précédemment cité – mais il y a quand même un véritable fossé qui existe entre les deux en termes de propos et de plaisir. Avec « BiTS » on a affaire à une véritable exploitation du format vidéo. Au-delà du plaisir du fond, il y a un véritable caractère jouissif de la forme. Ce n’est pas compliqué, quand je regarde un épisode de « BiTS », pas besoin de faire l’effort. Ça coule juste comme du miel.
Et si « BiTS » coule comme du miel c’est déjà parce que le postulat de départ va bien au-delà de la simple vulgarisation basique. On est loin de la simple récitation d’un savoir acquis ailleurs. Au contraire « BiTS » est une chaîne qui - à mon sens - fabrique presque le savoir, ou du moins le rend intelligible. Parce que oui, « BiTS » est fait partie de ces pionniers qui entendent défricher des zones encore trop peu inexplorées par les émissions conventionnelles de vulgarisation. « BiTS », c'est l'exploration d'une pop culture qui n'a pas encore été pleinement mâchée, digérée, et théorisée. Qu’est-ce que l’ASMR ? Qu’est-ce que le FOMO ? De quoi est vraiment révélateur le phénomène Minecraft ? Pourquoi la mode des vidéo trash ? Toutes ces questions trouvent une réponse intelligible suite au traitement posé par chaque épisode… La question est toujours posée sur un phénomène nouveau et populaire ? Le cheminement est toujours clair, constamment animé par une logique de décryptage d'un comportement social nouveau. La conclusion s'impose ensuite comme une évidence, non pas parce qu'elle se pose en autorité, mais parce qu'elle a donné suffisamment d'éléments pour montrer qu'elle a fait le tour des principaux aspects. Concis et efficace. Redoutable même. Bref, moi je trouve ça juste brillant…
Et si « BiTS » parvient à accomplir une tâche aussi complexe sur un format aussi court, c’est aussi et surtout parce qu’aussi bien sur le fond que sur la forme, on a là toute l’expérience et l’exigence du monde professionnel. Pour chaque question, les intervenants fourmillent et se révèlent toujours incroyablement pertinents. On peut nous dégoter un économiste comme ce fut le cas sur l’épisode consacré à Cambridge Analytica, comme on peut tout simplement aller dégoter Gilles Stella dès qu’il s’est agi d’aborder notre fascination sociale pour les dinosaures. Le matériau de base est juste énorme – comme le nombre de références culturelles affichées à l’écran – ce qui est quand même une vraie garantie de fond quand il s’agit de traiter une question. Mais là où les gars et nanas de « BiTS » poussent l’excellence jusqu’au bout, c’est qu’ils savent agencer ce fond avec beaucoup d’efficacité et de clarté. Parce que oui, en plus de la profondeur du fond, il faut qu’il y ait une maestria de la forme.
Moi je reste à chaque fois scotché de constater comment chaque épisode de « BiTS » parvient à se faire limpide malgré la quantité hallucinante de contenu. Or, pour moi, tout ça est lié à la maitrise absolue qu’ils ont de leur concept. Aucun temps mort, montage impeccable, mécanique huilée et rituels installés : tout est là pour que ça fonctionne et que ça rende addict. De la petite musique qui revient régulièrement et qui traduit tellement bien l’état d’esprit de l’émission à la voix suave de ce bon vieux Rafik Djoumi, tout favorise la familiarisation du spectateur aux codes de narration de cette émission. Ainsi, l’usage de la vidéo est-il exploité au mieux. Tandis que la narration déroule le raisonnement, chaque extrait utilisé permet non seulement d’illustrer la chose, mais aussi d’ouvrir une fenêtre vers une œuvre qui permettra de creuser la question plus loin. Et en bon interneteux qu’ils sont, les gars et les nanas de « BiTS » exploitent l’outil Youtube dans toutes ses configurations, laissant les noms de ses références dans les sous-titres. Ainsi le spectateur dispose-t-il du choix de les activer ou non ; d’alléger ou de surcharger d’informations l’épisode qu’il regarde. C’est un petit détail certes, mais un détail qui en dit long selon moi sur les exigences de narration de « BiTS ».
Alors quand le fond et la forme y sont, forcément, moi je deviens accro. Cela fait désormais 4 ans que la chaîne existe (j’écris cette critique fin juin 2018) ; 318 épisodes ont été produits, tous d’une qualité égale. Ils peuvent se voir, se revoir, et tous ensemble, ils constituent tout de même une magnifique bibliothèque sur la pop-culture. Une bibliothèque de réflexion bien sûr, mais l’air de rien aussi, une belle bibliothèque de ce qui constitue le cinéma, le jeu vidéo ou bien encore le net français d’aujourd’hui. L’air de rien, avec « BiTS » j’ai pris connaissance de nombreux phénomènes, j’ai découvert des jeux, j’ai même découvert des chaines Youtube. Autant dire que je pose clairement ces gars là parmi les grands maîtres du net français. Mieux. Pour reprendre une de leur expression que j’adore, je dirais de « BiTS » qu’ils sont devenus parmi les plus illustres « passeurs de savoir » du Youtube France…