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Arcade Fire [Critique de "Black Mirror" saison par saison]

Saison 1 :
L'explosion technologique des deux dernières décennies et son impact sur la société, mais également les mutations qu'elle provoque dans le corps, l'esprit, voire l'âme humaine, est probablement l'un des sujets les plus importants de notre époque. Le cinéma s'y confronte régulièrement, mais l'utilise plus comme un ressort scénaristique qu'autre chose, à quelques belles exceptions près ("Her" vient naturellement à l'esprit)... "Black Mirror", la série "d'anticipation" anglaise a droit à tout notre intérêt et notre respect pour se coltiner frontalement, audacieusement même, dans sa première saison, à des sujets comme le voyeurisme généralisé engendré par les médias et les réseaux sociaux ("The National Anthem"), l'importance croissante de la course à la célébrité médiatique et son rôle pivotal dans la consommation, voire toute l'activité humaine ("Fifteen million merits"), et l'obsession nouvelle de l'humanité envers l'enregistrement physique, la documentation et le commentaire de la moindre de ses activités ("The entire history of you").

Il se trouve en outre que ces trois premiers "épisodes", totalement indépendants, d'une durée variant entre 45 minutes et une heure, parfaitement écrits, réalisés et interprétés, sont chacun à sa manière de totales réussites à l'impact profond sur le téléspectateur. Le premier, décrivant avec une logique impitoyable un acte terroriste d'un nouveau genre, est le plus spectaculaire et avait permis de créer un buzz pour le lancement de la série, mais il est largement dépassé par les deux suivants : difficile de sortir indemne de la description horrifique de l'univers concentrationnaire du second, si loin et si proche pourtant du nôtre, tandis que la profonde intelligence du dernier en fait un véritable petit chef d'oeuvre.

La première saison de "Black Mirror" constitue donc ni plus ni moins qu'une nouvelle réussite absolue de la série moderne, mais surtout une réflexion essentielle sur l'abîme qui s'ouvre sous nos pieds, et qui menace d'engloutir ce qui subsiste encore de notre humanité. Mais c'est aussi un avertissement dérangeant : c'est bien notre conformisme vis à vis de codes sociaux de plus en plus malades, et notre instinct grégaire qui nous entraînent, tel des lemmings aveuglés par la technologie, vers le gouffre.
[Critique écrite en 2018]

Saison 2 :
Dans la même ligne que la première, la seconde saison de la redoutable série "Black Mirror" nous offre trois épisodes plus ou moins ludiques (enfin, plutôt moins que plus, hein...) sur l'impact possible du développement des technologies actuelles sur nous, au sein d'une société que l'on nous prédit - sans grande surprise - toujours plus consumériste et toujours plus répressive. Le charme addictif de "Black Mirror" provient largement de ce sentiment de "remise à zéros" des compteurs à chaque nouvel épisode, qui génère une vraie excitation sur le mode : "mais que vont-ils inventer cette fois-ci ?". Et il faut bien avouer que, malgré les irrégularités inévitables de l'écriture et de la mise en scène, malgré l'aspect disparate, voire fourre-tout de la série, pas de déception réelle pour le moment.

"Be Right Back" est une réflexion douce-amère sur ce qui pourrait être utilisé des traces que nous laissons derrière nous sur les réseaux sociaux pour nous conférer une sorte de fausse immortalité. "White Bear" est le "shocker" de la saison, un épisode anxiogène et spectaculaire débouchant sur une dénonciation - un peu facile sans doute - de l'éternelle fascination du public pour la justice et les punitions, modernisée en une torture sadique éternellement recommencée. "The Waldo moment", malgré une vision pertinente de l'érosion de la crédibilité des politiques dans nos démocraties et du risque populiste, surprend moins.

C'est donc la belle réussite de "l'épisode de Noël" (une vieille tradition anglaise !), "White Christmas", qui portera au plus haut la réputation de la série : sur une heure et quart, voilà une histoire retorse, avec trois fictions successives qui finissent par constituer un portrait à charge de la manière abusive dont les nouvelles technologies sont finalement utilisées - ici la capacité d'enregistrer et de modifier le regard de tous, et le clonage de la conscience qui devient un "cookie" manipulable à l'infini dans un espace virtuel oppressif : Jon Hamm y est comme souvent magnétique et magistral, mais c'est surtout les déchirements successifs que provoquent en nous ces trois récits dramatiques qui l'élèvent finalement vers une impressionnante intensité émotionnelle.
[Critique écrite en 2018]

Saison 3 :
La troisième saison marque une rupture fondamentale dans "Black Mirror" : en passant de la BBC à Netflix, de "l'artisanat" anglais au professionnalisme américain, quelque chose de fondamental change, même si, et c'est heureux, Charlie Brooker reste aux commandes, ou tout au moins au scénario. Plus de moyens qui permettent une représentation plus ambitieuse des aspects futuristes de la série, une mise en scène soignée s'apparentant chaque fois plus à du "vrai cinéma", un format plus long (six épisodes cette fois), mais surtout une légère mais indéniable inflexion du "fond" de la série. On perçoit vite le souci de conférer moins de noirceur systématique à ces contes sur la technologie, avec l'amorce de semi-happy ends : la libération de la parole à la fin du très pertinent "Nosedive" (pas si loin de notre réalité actuelle entre les "like" des réseaux sociaux et la notation des citoyens par les autorités chinoises), la possibilité d'un bonheur après la mort dans le superbe et touchant "San Junipero", ou encore l'arrestation possible de l'über- criminel de l'impressionnant "Hated by the Nation"...

Au delà du passage de 4 des 6 épisodes de l'autre côté de l'Atlantique qui leur enlève tout de même un peu de charme, on peut aussi s'inquiéter de la tendance à adopter parfois des points de vue scénaristiques plus classiquement hollywoodiens, le personnage central de l'épisode n'étant plus uniquement une victime presque anonyme des dysfonctionnements technologiques et sociétaires, mais adoptant occasionnellement la position de "l'élément rebelle" dévoilant ces dysfonctionnements : d'où le risque d'un passage progressif d'une approche politique "à l'européenne" des sujets à une approche "morale" moins contondante.

Ces légères inquiétudes ou réserves n'empêchent toutefois pas d'être à nouveau enthousiaste devant la réussite quasi totale de ces 6 nouveaux épisodes : si l'équation simpliste "horreur + twists" de "Playtest" en limite un peu l'impact, la force émotionnelle désespérée et la tension de l'épisode (très anglais, lui) "Shut Up and Dance" permet à "Black Mirror" d'atteindre de nouveaux sommets.
[Critique écrite en 2018]

Saison 4 :

Grosse déception que cette saison 4 de la très aimée ex-série de la BBC récupérée par Netflix, "Black Mirror" : cette fois, la quasi-totalité des six épisodes s'égare franchement loin du thème original de la série (disons la réflexion de l'impact du développement de la technologie sur l'être humain et le fonctionnement de la société) pour nous proposer une SF beaucoup plus standardisée... à l'exception de "Archangel", dirigé par Jodie Foster, qui s'intéresse à l'impact sur une relation mère-fille qu'aurait une technologie permettant aux parents une surveillance constance et même un contrôle des expériences vécues par leurs enfants... pour ne pas en faire grand-chose finalement !

Aucun épisode ne sort vraiment du lot cette fois, même si l'on pourra toujours se sentir à un niveau personnel plus intéressé par l'un ou l'autre : l'imaginatif mais puéril "USS Callister" réjouira les geeks, le très beau formellement "Metalhead" les fans de SF classique hardcore, "Crocodile" avec sa construction de thriller les adeptes du polar classique, tandis que "Hang the DJ" (à noter pour sourire la traduction crétine en français du fameux refrain des Smiths !) répète les schémas déjà trop souvent explorés par la série des relations virtuelles.

Reste l'échec final de "Black Museum", qui va pourtant explorer un registre grotesque intéressant, mais qui empile maladroitement ce qui n'est finalement que trois histoires séparées réunies par la seule "excuse" de la présence d'artefacts dans un musée sensationnaliste. Une triste conclusion dont on n'aurait pas aimé qu'elle soit la conclusion définitive de la série. Même si l'on n'est pas optimistes quant à la Saison 5...
[Critique écrite en 2018]

Saison 5 :
Et la chute continue... Même si l'on craignait le pire après l'amère déception de la quatrième saison, nous croisions les doigts, le pire n'étant jamais certain. Malheureusement, la catastrophe de ces 3 épisodes dépasse littéralement l'entendement, et contamine définitivement les bons souvenirs qu'on pouvait garder des toutes premières saisons de ce qui fut, au début, une œuvre intelligente, stimulant notre réflexion sur l'impact des nouvelles technologies sur la société et sur nous... soit quand même, après la situation environnementale, le sujet le plus important de ce siècle.

La saison commence par un épisode ("Striking Vipers") qui pourrait être le plus intéressant s'il allait jusqu'au bout de son sujet, qui questionne l'évolution de la sexualité sous influence du "sexe virtuel". Mais, rapidement, le scénario se bloque sur une vague plaisanterie gênante, indigne de notre époque que l'on espère plus évoluée que ça : est-on gay parce qu'on fait l'amour dans un jeu vidéo avec l'avatar féminin de son meilleur ami ? Une fois qu'il a répondu "non" et ainsi soulagé la conscience de nombreux gamers qui ne font pas partie de la frange la plus progressiste de la société, l'épisode ne sait plus quoi raconter et se termine piteusement... On se demandera en outre pourquoi avoir tourné ce film à São Paulo si ce n'est pas pour en faire quoi que ce soit ?

"Smithereens", le second épisode est un thriller plutôt réussi autour d'une prise d'otage pas comme les autres, portée d'ailleurs par le toujours excellent Andrew Scott. Le problème est que tout cela est totalement hors sujet par rapport au thème de "Black Mirror", si ce n'est - je plaisante - dans sa leçon de morale sponsorisée par la Prévention Routière, et dans son très lâche dédouanage final de Zuckerberg qu'on voit pleurnicher en jurant qu'il n'a jamais voulu que Facebook devienne un tel monstre.

Mais c'est le troisième épisode, "Rachel, Jack and Ashley Too", le plus pitoyable de toute l'histoire de la série qui enfonce le dernier clou dans le cercueil de "Black Mirror" : il s'agit ni plus ni moins d'une comédie teen américaine (disneyienne, même...) ridiculement convenue, et clairement offerte à Miley Cyrus pour qu'elle puisse défendre sa "crédibilité rock" face aux vilains producteurs qui lui font enregistrer, la pauvrette, de la mauvaise musique commerciale. Tout ici est niais, laid et fondamentalement inepte, sans parler même du "happy end" final grotesque (un happy end dans "Black Mirror" !).

Conclusion : R.I.P. Black Mirror.
[Critique écrite en 2019]

https://www.benzinemag.net/2019/06/18/black-mirror-saison-5-r-i-p-black-mirror/

Saison 6 :

Quatre ans après une cinquième saison littéralement désastreuse, l’apparition soudaine (à moins que ça soit nous qui en ayons manqué l’annonce…) de 5 nouveaux épisodes de l’une de nos anciennes séries favorites, Black Mirror, nous a plus effrayés qu’enthousiasmés. Car en 2023, il est bien loin le temps des concepts brillants basés sur d’audacieuses extrapolations de l’évolution technologique : Black Mirror était quasiment devenue une référence globale, une référence citée à chaque fois qu’une nouvelle dérive de l’humanité étai observée, et ce n’est pas rien. Il suffisait de décrire la reconnaissance faciale utilisée en Chine pour forcer les citoyens à la docilité comme une sorte « d’épisode de Black Mirror » pour que tout le monde comprenne de quoi il s’agissait…

Inutile de maintenir un suspense qui n’en est pas un, la sixième saison de Black Mirror échoue à retrouver l’intelligence quasi visionnaire des premières saisons, et sur ce point, la déception aurait été sévère s’il y avait eu de notre part la moindre attente. Mais, et c’est une piètre consolation, trois des épisodes qui nous sont offerts dans cette nouvelle – et espérons-le, dernière – fournée, sont plutôt réussis : c’est bien, mais le problème est qu’ils n’ont plus rien à voir avec la nature de Black Mirror, ils ne sont que de bonnes histoires fantastiques, policières, ou de science-fiction, bien écrites, bien réalisées, bien interprétées. Ce qui n’est pas rien, certes, mais ne devrait pas nous être présenté sous la « marque Black Mirror »…

Joan Is Awful est le meilleur épisode de tous. Il raconte le cauchemar vécu par une jeune femme ordinaire lorsqu’elle voit les événements de sa journée recréés et diffusés sur Netflix (pardon sur Streamberry, avatar conceptuel de la plateforme) le soir même, ce qui la transforme en la risée – et le bouc émissaire – de la planète tout entière. Sans qu’elle puisse y faire quoi que soit, légalement, son contrat d’adhésion à la plateforme comprenant une clause permettant à celle-ci d’utiliser sa vie comme sujet de fiction. Cet épisode est, avouons-le, le seul qui se rapproche du projet initial de Charlie Brooker et de la BBC, et il est formidablement réjouissant. Lorsque l’excellente Salma Hayek apparait à mi-parcours, son énergie et sa fantaisie, élèvent encore l’épisode vers une plaisante comédie farfelue. Il est alors dommage que la volonté des scénaristes de rajouter un ultime tour d’écrou à l’histoire la rende trop « classiquement SF » et la prive de son potentiel le plus intriguant.

Loch Henry lorgne plutôt du côté d’un polar, lorsque deux jeunes cinéastes retournent dans le village écossais dont l’un est originaire pour filmer l’histoire d’un serial killer local. Et découvrent que la vérité est bien plus affreuse encore. Plutôt malin, le scénario bénéficie aussi de l’auto-ironie de Netflix, qui se moque de sa propre propension à créer des documentaires sur de véritables serial killers. Une autre réussite indiscutable, même si l’on a déjà abandonné l’esprit Black Mirror.

Beyond the Sea (la Mer, de Charles Trenet, en fait) est un récit assez classique de SF, basé sur l’idée que les astronautes exilés pour de longues périodes dans l’espace, peuvent revenir se ressourcer en habitant par la pensée des robots créés à leur image sur Terre. Cette histoire, réunissant un beau casting compétent (Aaron Paul, Josh Hartnett et Kate Mara) a du potentiel, mais devient rapidement prévisible, tout en ayant le grand tort de s’étirer sur une heure et vingt minutes interminables. Ennuyeux, tout simplement !

Mazey Day est l’épisode le plus mauvais du lot, simple récit fantastique sans aucune idée nouvelle, n’ayant en outre aucun rapport avec l’esprit Black Mirror. Il est fortement recommandé de la zapper pour ne pas perdre 45 minutes de sa vie.

Le final offert par Demon 79 est un autre récit fantastico-SF, parfaitement réussi celui-ci. Il raconte comment, dans la Grande-Bretagne de 1969, une jeune femme d’origine indienne mène une existence effacée, soumise au racisme croissant de la société anglaise, jusqu’à ce qu’elle doive faire un pacte avec un démon pour sauver la planète. La conjugaison d’un sujet social / politique bien actuel (la montée du fascisme dans nos sociétés), d’une ambiance de comédie (le démon ayant pris l’apparence du chanteur de Boney M), et de scènes de thriller fonctionne parfaitement tout au long d’une nouvelle heure et vingt minutes satisfaisantes. On s’amusera à trouver des références à The Cabin de Shyamalan, la Vie est Belle de Capra et Dead Zone de Cronenberg, mais ce sera indiscutablement la belle humanité des personnages, même les moins défendables, qui nous touchera.

On remarquera que ce dernier film est présenté comme une production « Red Mirror », et ça nous va très bien. Osons suggérer à Netflix de poursuivre l’aventure sérielle sous ce nouveau titre, pour éviter qu’il n’y ait désormais tromperie sur la marchandise, et que nous puissions apprécier sans arrière-pensées de jolies histoires fantastiques de qualité ?

[Critique écrite en 2023]

https://www.benzinemag.net/2023/07/01/netflix-black-mirror-saison-6-red-mirror/

EricDebarnot
6
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le 1 juil. 2023

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Eric BBYoda

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