A part quelques épisodes de Black Mirror qui resteront dans l'histoire pour leur clairvoyance, leur souffle ou leur esthétique, cette série se confronte malheureusement aux limites de son propre concept, et même de son message moral initial. En effet, cette dernière est d'abord une série sur les dérives des hautes technologies, et de par son titre, "Reflet sombre", cherche à mettre en exergue la façon dont les êtres humains ont donné à leurs mauvais penchants, leurs perversités, leurs fantasmes et leurs créativités une réalité virtuelle et donc matérielle. Le problème est que justement, les deux premières saisons de la série, et un peu la dernière, se consacrent à réunir des fables, des exemples et des concepts, plus ou moins bien réalisés, plus ou moins surprenants, plus ou moins crédibles et plus ou moins bien rodés dans le seul et unique but de montrer, souvent à raison, les dangers des hautes technologies. Cependant, parfois cela ne touche pas juste à cause du manque profond de crédibilité (le premier épisode en est un exemple flagrant), et parfois cela irrite par le côté donneur de leçons de la série qui se comporte comme une autorité morale, un pasteur de la technologie, et du bien, du juste, du vrai. La série parvient à atteindre l'art par des épisodes qui détiennent autre chose qu'une leçon de morale, mais un peu de poésie, d'originalité et de réflexions réelles sur le divin, l'au-delà, la popularité. A ce titre, la saison 3 est sans doute la meilleure des saisons, parce que chaque épisode (à part l'épisode 5) recèle un souffle, une esthétique, une histoire, une aventure. Il convient de préciser que les dérives contenues dans Black Mirror ne pourraient être possibles que dans des pays protestants, anglo-saxons, n'ayant pas des hautes autorités éthiques, teintées d'humanisme, de catholicisme et de l'esprit des Lumières non-pragmatique français. Ainsi, la plupart des épisodes serait de fait nul et non avenu dans des pays comme la France, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, etc ...
En effet, les sujets traités dans la série sont appréhendés par le prisme unique du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Il est palpable que Black Mirror s'intéresse aux justices de common law, aux sociétés ultra-libérales, religieuses, dissociant beaucoup le corps et l'esprit, à la morale pragmatique et non kantienne, et qui oublie beaucoup la question sociale et politique derrière les aspects scientifiques. Ainsi, ce qui est possible et envisageable en Amérique, en Australie, en Angleterre et aux Pays-Bas ne le serait pas en Croatie, en Hongrie ou en Italie. Mais de la même façon, et c'est ce qui sauve la série, Black Mirror est intéressante parce qu'elle est une série anglo-saxonne, et qu'elle détient ainsi les meilleurs réalisateurs, les meilleurs effets spéciaux et les meilleurs effets de suspens. Malgré ces aspects philosophiques et sociologiques, la série nous fait passer de bons moments, mais sans parvenir du coup, par ses épisodes distincts les uns les autres, à créer une régularité, un plaisir de retrouver les mêmes cadres et les mêmes personnages. Qu'importe, Black Mirror est une série originale, avec un vrai parti-pris et une vraie pensée, dommage qu'elle ne le soit pas pour notre civilisation.