Dans une réalité alternative, les années 60 se seraient achevées dans la liesse populaire et l'espoir à chaque coin de rue. Les tensions meurtrières auraient été ramenées au niveau d'une rivalité politique. Et les institutions se seraient livrées à l'introspection pour mieux servir les préceptes constitutionnels.
Hélas dans notre monde à nous la décennie sixties s'est terminée dans le sang, la rage et l'écœurement. Avec elle partaient également en fumée les destins singuliers de figures appelées à devenir légendaires, parmi lesquelles Malcolm X, Martin Luther King et Robert Kennedy.
Ce dernier est souvent réduit au bras armé de l'administration dirigée par son frère, le président John Fitzgerald Kennedy. La postérité et la documentation semblent plutôt attester que Bobby en fut le cerveau et l'âme. De la même manière qu'on fait de JFK une figure tragique, il apparaît que son petit frère correspond bien plus à cette définition. Une thèse que Bobby Kennedy for President ne met pas longtemps à démontrer.
Le documentaire en 4 parties sonde de manière chronologique le parcours et la psyché d'un homme décidé à bâtir sa propre renommée. Loin du cercle familial, loin des relations incestueuses avec la mafia. Une histoire d'émancipation au sens propre comme au figuré, alors que la prise de conscience des inégalités et des guerres injustes saisissent le ministre de la justice et son président de frère. Loin d'être un figurant au sein des hautes sphères, le combat de Robert Kennedy se paiera au prix de multiples désillusions, du deuil, de la culpabilité et d'un baroud d'honneur sans victoire possible.
À grand renforts de témoignages et d'images d'archives restaurées, la réalisatrice Dawn Porter offre un portrait certes partial mais indéniablement émouvant de l'une des plus grandes figures sacrificielles du 20ème siècle. En creux, elle parvient à restituer l'état d'esprit d'une époque assombrie par les scandales, les conflits injustifiés et le sentiment de conspiration autour des services de renseignements.
La dernière partie ne cherche pas à biaiser avec la réalité en confrontant les rapports et propos rapportés autour du meurtre de RFK et Sirhan Sirhan. À l'instar du meurtre du président John Kennedy, celui de son frère est toujours drapé de mystère (preuves et photographies détruites, coupable amnésique, soupçons de plusieurs tireurs), contribuant à forger une légende dont les zones d'ombres n'ont toujours pas été éclaircies (ou si peu).
L'œuvre a également l'intelligence de s'éloigner du discours consensuel associée à tort à la fratrie des Kennedy. Non, ce n'est pas l'innocence qui a été tuée avec eux, mais la prise de conscience. La compréhension du concept d'échiquier politique et de la place accordée aux plus téméraires dans la partie. Dans une autre configuration, les humanistes et réformistes auraient gagné. Dans une autre réalité, les Kennedy seraient toujours debout. Dans un monde meilleur, Robert règnerait sur l'Histoire de son pays. À défaut, son destin ne doit jamais être oublié.
Pour ceux qui voudrait prolonger l'étude sur le personnage et l'ère des 60's, je ne saurais trop vous conseiller de lire American Tabloïd/American Death Trip de James Ellroy, où La Malediction d'Edgar de Marc Dugain.