Voilà. J'ai terminé "Breaking Bad".
Cinq saisons enfilées comme une nouvelle au saloon alors que c'est jour de paie.
C'est dur. J'ai envie de pleurer.
Oh, je t'arrête tout de suite, c'est pas la première fois. C'est la deuxième.
J'étais en manque.
Comme un désespéré, j'ai replongé.
Et j'ai tout fumé, à la chaîne.
En fait, je suis un faible, j'avais juste besoin d'un prétexte.
Quand t'es sevré, le danger, la fissure, tu les vois venir de loin et comme souvent, c'est à cause d'une connaissance,d'une bonne amie, que tu perds pied et que tu retombes.
Putain de lien social, ça nous tuera.
Il a suffit qu'elle se questionne sur ma nouvelle lubie, mon nouveau projet pour que ça revienne sur le tapis. Pour que je redevienne accro comme une loque véritable, prêt à lécher les cendriers, un soir de disette en carburant, pour en récolter les substantiels résidus bleus...
Alors que je briquais mon acquisition à base de jus de salive et d'huile de coude, camouflé dans son petit jardin.
« Un camping-car...T'es comique, comme mec. Tu te décides à accepter ton côté gitan? » me dit-elle.
« Ah ah ah ! Tordant ! Tu me diras, j'ai entendu dire que c'était pas dégueulasse le pâté de hérisson sur une tranche de pain poilâne. Mais non. D'ailleurs eux, ils n'en ont pas, des comme ça... »
« C'est vrai que le tien, il est très moche. Par contre, il est spacieux, ton truc! Holalaaa, je suis impatiente !!! »
« De ? »
« De prendre la route, mon Djee! De sillonner le monde ! Toi et moi et cette ferraille par monts et vallons ! »
Les gens. Même les plus proches. Je devrais les remercier en fait, pour tout ce qu'ils font. Ils me maintiennent en vie. Moi qui ai une tendance, une inclination certaine, pour la dépression, les voir s'agiter, s'étonner et, surtout, parler, c'est ce qui me sauve du nœud coulant. Si j'étais pas si radin, je devrais les payer, presque.
« Désolé pour tes plans de bohémienne mais il n'est pas fait pour les voyages celui là... »
Enfin, pas les mêmes.
« Ah... »
Là, avec ce simple « ah », j'ai senti dans la fluctuation du son de sa voix une pointe acide de déception. Comme le jour où j'ai dit à ma môme que le Père Noël était mort.
« C'est pour cuisiner » lui dis-je.
« Ooooooooooh ! Quelle belle idée dans l'air du temps, une friterie ambulante, un foodtruck ! Tu veux initier tes compatriotes à la mitraillette-fricadelle-sauce riche? »
Et là, j'ai pensé : pourquoi on parle ? Pour putain d' quoi ?
Je veux dire, c'est quoi le début de cette mascarade ?
Je suis fatigué, totalement rincé, j'ai passé des heures à démonter tout ce qu'il y avait dans ce tas de ferraille et faire de la place pour mon labo-cuisine. J'ai pris garde de faire ça discrètement, histoire de pas avoir la maréchaussée sur les côtes avant même la première fournée.
Je me suis enfilé des tutos sur YouTube pour pas louper ma préparation. J'ai noté chaque étape, scrupuleusement dans mon petit calepin.
J'ai fait mes courses. Dans des magasins différents. Toujours un œil par-dessus mon épaule pour repérer une filoche potentielle.
J'ai investi dans des masques, pour pas que les vapeurs me fassent planer. Au boulot, on n'est pas là pour se shooter.
J'ai même passé une petite annonce dans le journal pour trouver un assistant, un Jesse.
Avec la communauté de dégénérés qui crèchent dans la région, ça devrait le faire.
On devrait avoir le droit de faire du poison pour les adultes désabusés. Même si t'es pas cigarettier ou fabricant de liqueurs.
Il y a une niche, je suis sûr qu'il y a une niche.
Et puis merde, flûte et re-merde, je me barre. Comme ça, sans un mot.
Si on continue à jacter, on pourrait nous entendre et je ne veux pas tomber avant d'avoir commencé.
Parfois, tourner les talons, tracer, vaut mieux que de longs discours.
C'est ce que j'aurais dû faire quand, suite à mes essayages, alors que j'avais revêtu ma jolie combinaison jaune, elle osa un "Super, ton déguisement de Minion !".
C'est dans des moments comme ça que je me rends compte que je ressemble à Walter White, qu'on a des points communs, notamment celui de se faire marcher dessus, sans laisser échapper un soupir. Des paillassons humains.
J'ai rasé mon crâne, taillé les poils qui poussent sur ma gueule pour qu'ils prennent les contours d'un bouc arrogant. À la mémoire de Heisenberg, j'ai investi dans un joli chapeau.
J'ai pas de beau-frère qui bosse pour la DEA, pas de désert ocre du Nouveau-Mexique comme horizon et pas de crabe pour me motiver. Mais je le suis, motivé, putain, surtout quand je pense à des tas de biffetons.
Quand j'aurai fini de faire fondre ma bonne amie trop bavarde, que je me serai débarrassé d'elle et du tonneau de plastique qui restera sa tombe, je vais faire de la pure, de la bleue.
Tu peux me croire, les légendes ne meurent jamais.