Le moins qu'on puisse dire, c'est que je ne fais pas partie des fans de la première heure de "Breaking bad". Pour comparer avec une histoire d'amour, ce ne fut pas un coup de foudre entre la série et moi, mais plutôt une relation heurtée, émaillée de déceptions, d'incompréhensions mutuelles et d'infidélité de ma part. Pour s'achever dans un amour passionné et fusionnel, qui laisse des regrets derrière lui lorsqu'il s'achève.
Au moment du lancement du show sur AMC, je ne m'y suis pas intéressé, pour des raisons en rapport avec mon propre vécu, me poussant à fuir ce type de récit où la consommation de drogues risquait d'être omniprésente, voire de connaître une forme d'apologie (ce ne sera pratiquement jamais le cas, déjà un premier malentendu...).
Puis, lorsque le buzz battait son plein autour de "Breaking bad", je me décidais à regarder les 7 épisodes initiaux (la fameuse grève des scénaristes ayant limité cette saison inaugurale), et je ne fus guère bouleversé par ce que je vis alors.
Surtout, le scénario de cette saison 1 correspondait finalement au pitch de la série lui-même ("un chimiste cancéreux se lance dans la production de meth pour payer son traitement médical") : du coup, il n'y avait pratiquement pas de surprise ni de découverte à proprement parler, les divers échos entendus à droite à gauche ayant démystifié la plupart des éléments de l'intrigue.
A l'issue de ces 7 épisodes plaisants, mais assez neutres, je n'ai pas jugé bon d'insister, d'autres projets m'appelant avec bien plus d'insistance sur d'autres fronts télévisuels ou cinématographiques.
Finalement, plusieurs années se sont écoulées, lorsque je décide de rattraper cette lacune dans ma culture sériphile, en m'attaquant aux 13 épisodes composant la deuxième saison de "Breaking Bad" : toujours pas de révélation à l'issue du visionnage, et des défauts encore bien trop présents (faux rythme lancinant et héros antipathiques notamment).
Néanmoins je suis décidé à insister cette fois-ci, d'autant que certaines audaces de Vince Gilligan en terme de mise en scène sont porteuses d'espoir, et que certains épisodes envoient du pâté ("Peekaboo" ep 6).
La troisième saison valide l'idée de montée en puissance : cette fois, ce sont à l'inverse quelques épisodes décevants qui font un peu tâche ("Fly" ep 10) au sein d'une saison globalement très convaincante. Ce n'est pas encore une réussite franche et totale, mais je sais à présent que je suivrais la série jusqu'à son terme, grâce notamment à l'apparition de personnages secondaires savoureux, tels que Saul, Mike ou Gus, qui viennent relayer avantageusement le duo principal.
Les défauts n'ont pas disparu, à l'image des invraisemblances qui restent récurrentes, et de la relation parfois crispante entre Walt et Jesse. Les invraisemblances du récit ne sont pas gênantes en soi, mais dans leur décalage avec le réalisme fouillé affiché par "Breaking Bad" dans la psychologie et les relations humaines.
Ma véritable conversion aura lieu dès le début de la quatrième saison. Désormais, le visionnage s'effectuera sous forme de binge watching : deux jours pour m'enfiler les 13 épisodes de la saison 4, deux jours encore pour ingurgiter les 16 autres de l'ultime saison.
Je n'ai pas souvenir d'une telle montée en régime au sein d'un même show : en général, c'est plutôt l'inverse qui se produit, avec une chute progressive de mon intérêt avec le temps ; ou alors la série me plaît du début à la fin.
Dans le cas de "Breaking bad", on peut penser que les deux dernières saisons sont objectivement meilleures (en tout cas plus rythmées), mais aussi que Vince Gilligan a toujours eu le souci de doser chaque ingrédient pour parvenir à proposer une telle montée de tension finale.
Il récolte aussi les fruits de son audace d'avoir installé des personnages ambigus moralement (voire franchement antipathiques) : on ressent une empathie très forte, susceptible de basculer d'une minute à l'autre. Ainsi, lors du paroxysme de l'affrontement entre Walt et Hank, on ne sait plus très bien si l'on souhaite voir la justice triompher ou notre (anti-)héros s'en sortir une fois de plus.
Autre force de la série dans sa dernière ligne droite : l'absence de tabou scénaristique et de limites morales nous offre la sensation -rarissime- que tout, absolument tout peut arriver.
Je ne reviendrais pas sur l'ensemble des qualités de "Breaking Bad" (interprétation, écriture, mise en scène, musique...) car beaucoup l'on déjà très bien fait, et depuis bien longtemps.
Juste un dernier mot au bénéfice de Bryan Cranston, qui porte véritablement le show sur ses épaules (également producteur) dans cette double interprétation hallucinante de Walter White - Heisenberg. Peu d'acteurs auraient su rendre ce rôle aussi crédible, passant en une scène du petit prof lâche et pathétique au monstre froid et calculateur, du papa poule un peu chiant à l'empereur de la meth...
Le rebond spectaculaire de sa carrière ciné à la suite du succès de la série est mille fois mérité.