Bron a été propulsée néo-meilleure série du monde (ou presque) en 2012. Et déjà un remake américain est prévu. Alors on pourrait se dire, hypothèse a), que l'âge d'or de la télé américaine est bel est bien passé, que les scénaristes yankees sont dans un tel manque d'inspiration et les diffuseurs tellement frileux qu'ils sont obligés d'aller piller ce qu'il se fait de mieux ailleurs (Scandinavie, Royaume-Uni, Israël) pour le refaire en moins bien. Mais on peut aussi se dire, hypothèse b), que toutes ces séries (Bron, The Killing -dont j'ai vu le remake -, et peut-être Real Humans - pas vu-) sont déjà du prêt-à-copier, tant elles sont influencées, pour ne pas dire contaminées, par la télévision américaine, que ce soit en terme de scénario ou de mise en scène.
Il est frappant de voir à quel point tous les épisodes sont calibrés, suivent le même schéma narratif, reposent tous sur les mêmes articulations, visent l'efficacité, sans panache, sans surprises, sans digressions, jusqu'aux incontournables climax et cliffanger en fin d'épisodes. À croire que les scénaristes scandinaves sortent des mêmes écoles que les américains.
En soit, ça ne serait pas un problème si la narration était réellement efficace, bien huilée. Sauf qu'elle est très peu palpitante (on découvre des gros indices en recherchant dans des fichiers informatiques ou dans des vieux cartons, le genre de scènes anti-cinématographiques au possible) et bourrée de rebondissements tirés par les cheveux, des coups de force scénaristiques qui frisent parfois le grotesque - attention spoiler - : le méchant que l'on croyait mort, mais qui a fait de la chirurgie esthétique pour changer de visage et pouvoir mettre au point un plan démoniaque. C'était pas une saga de l'été sur TF1, ça ?
La série repose aussi sur la sempiternelle collaboration de deux personnages que tout oppose. Encore une fois, c'est du déjà vu, mais c'est peut-être le point fort de la série. Du côté suédois, il y a Saga, une fliquette obstinée, pour ne pas dire obsessionnelle, très à cheval sur les règles et plus ou moins atteinte du syndrome d'Asperger, donc asociale au possible. Une idée intéressante, utilisée comme un ressort comique qui fonctionne plutôt bien, surtout dans son opposition avec Martin, un flic danois bonhomme et chaud lapin, qui trimballe sa silhouette de quadra bedonnant entre Malmö et Copenhague avec un air de Droopy pas très concerné, avant que l'intrigue ne finisse par évoluer au tour de lui, de sa famille et de son passé (parce qu'il a des secrets, forcément) et n'en fasse le personnage principal, le seul à être réellement émouvant, notamment lors d'un très beau final d'une noirceur franchement surprenante.
Et même sans cette fin, Bron se révèle assez noire. L'atmosphère glauque et dépressive de Malmö est figurée par une photo monochrome grisâtre, par quelques beaux plans du pont d'Öresund noyé dans la brume (1 ou 2 par épisodes, toujours les mêmes) et par un très joli générique fait de time-lapses dans la nuit scandinave. Mais cela mis à part, visuellement, la série ressemble au tout venant de la production mondiale, sans réelle valeur ajoutée.
Et c'est bien le problème. Les grandes séries sont celles qui, non seulement disent quelque chose de la ville et de l'environnement dans la quelle elles se déroulent, de ses habitants, mais en épousent surtout profondément le rythme, la pulsation cardiaque, que ce soit dans la mise en scène, la photo ou la narration. The Wire ne pourrait avoir lieu nulle part ailleurs qu'à Baltimore, Treme, racontée au rythme du Jazz, n'a de sens que dans la Nouvelle-Orléans post-Katrina, Friday Night Lights est indissociable du Texas réac et bigot. Mais Bron pourrait se passer n'importe où, sans changer fondamentalement. Elle est sans réelle identité, calibrée, transposable et, au bout du compte, oubliable.