"One hell of a commercial"
À l'heure où d'aucuns conspuent Hollywood pour son manque d'originalité et son mercantilisme (remakes à foison, adaptations de romans pour ados, interminables sagas de super héros), je suis surpris de la bienveillance avec la quelle a pu être reçue cette publicité géante qu'est The Lego Movie, qui, derrière ses apparences de fiction post moderne trop cool cache bien mal son véritable statut de produit marketing.
Le film commence dans une ville-monde à la Aldous Huxley, où l'on fait mine de dénoncer l'asservissement des citoyens, "brainwashés" par la musique pop et les sitcom débiles. Mais alors qu'il prétend moquer cette culture pop abrutissante, The Lego Movie en fait en réalité un éloge complet, tant il est un mash-up foisonnant de références geeks. Du Seigneur des Anneaux à Harry Potter, en passant par Star Wars, des super héros aux stars de la NBA (tant qu'à faire), tout y passe, un véritable coffre à jouets. Tout, dans Lego, ne fonctionne qu'à la référence, aux clins d'oeil et aux coups de coudes complices. Alors, évidemment, voir le Faucon Millenium accoster un bateau pirate et Han Solo discuter avec Batman a quelque chose de cocasse. Mais pourquoi faire ? Tout cela ne fonctionne que sur un mode parodique, au second degré, là où les grands films du genre (Toy Story, au hasard, au quel le film a été pas mal comparé) tiraient au contraire leur force d'une maîtrise absolue du premier degré.
Et dénoncer la culture pop tout en en la célébrant n'est pas la seule arnaque du film. En effet, celui-ci se voudrait aussi une ode à la créativité, avec ses univers multiples et foisonnants, ses constructions qui se font et se défont en direct sous nos yeux, et son scénario qui célèbre les bâtisseurs, êtres doués d'une imagination sans borne. Mais le film est en réalité on ne peut plus balisé, raconte la sempiternelle histoire du héros qui s'ignore et qui va sauver le monde d'un grand méchant qui se fait appeler Lord Business (attention, brûlot politique). Le scénario est d'ailleurs construit sur le mode enfantin du "on dirait que". "On dirait qu'à ce moment là, Batman débarque". "On dirait que là, ils rencontrent les personnages de Star Wars". "On dirait qu'un bateau pirate vient les secourir". Tout cela se justifie certes par le twist final ("on dirait que c'est un enfant qui raconte une histoire"), mais donne surtout l'impression d'une suite de péripéties sans queue ni tête, résolues par des deux ex machina constants. Si bien qu'au final, on n'en a strictement rien à foutre. Les lieux visités sont tout aussi schématiques (la ville, le far West, etc.), et les personnages ne sont définis que par un trait de caractère unique (par exemple, Batman est réduit à un mec cool à la voix grave). The Lego Movie ne réinvente en fait rien, n'est qu'une collision d'univers où l'on ne construit que dans les limites d'un imaginaire déjà balisé. Ce manque cruel d'audace se cristallise dans cette fin un peu consternante, où sont opposés la créativité fertile des enfants et le pragmatisme cartésien des adultes.
A-t-on déjà vu ode à l'imagination plus bête, simpliste, et, fondamentalement, si peu imaginative ?
Et pourquoi cette hymne à l'inventivité, alors ? Une incitation à sortir des carcans de la société de consommation ? Sûrement pas. Il s'agit simplement là du positionnement de Lego, son grand message marketing. "Chers parents, Lego va développer l'imaginaire et la créativité de vos petites têtes blondes". Ça n'est pas forcément faux, d'ailleurs, mais de fait, le film ne donne au final qu'une envie : consommer du Lego. Mais, me direz-vous, pour une telle commande, pouvait-il en être autrement ?
La réponse se situe peut-être une vingtaine d'années en arrière. 1997, le géant du jouet Hasbro fait une commande similaire, un film dont le but affiché est d'être une campagne promo géante pour une nouvelle collection de figurines. Ce sera Small Soldiers. Seule petite erreur, on confie le projet à Joe Dante. Malgré la pression des producteurs, malgré les coupes diverses et variées, le film conserve une force politique inouïe. Joe Dante y imaginait qu'un géant de jouet et un géant de l'industrie de l'armement s'alliaient pour créer une puce électronique rendant les jouets intelligents. Suppo du grand capital, à la merci de leurs actionnaires, les industries du jouet et de l'armement étaient mis dans le même sac, la première servant d'outil de propagande à la seconde, la seconde utilisant la première comme argument de vente. Les petites figurines militaires étaient alors des teubés bourrins au discours réac, tout droit sorties d'un actionner 80s et les barbies étaient transformées en freaks enragées. On se demandait comment les commanditaires du projet avaient pu laisser le film sortir. Il donnait envie de décapiter ses Playmobil®, de balancer ces voitures Majorettes® dans la benne à ordure, de brûler les poupées Mattel® de sa petite soeur. Le film se terminait dans un immense carnage, où une banlieue américaine très Dantienne était ravagée. Le patron de la firme à jouet débarquait alors pour acheter le silence des héros concernant ce petit scandale, avec un bon gros chèque. Et juste avant de remonter dans son hélico, il se tournait quasi face caméra pour balancer : "Too bad, this could have been one hell of a commercial". Ultime doigt d'honneur de Joe Dante. Dans le genre du film establishment anti-establishment on n'a pas fait mieux dans l'histoire du cinéma.
Comme quoi, c'était possible, encore fallait-il avoir des couilles.