Ce qu'il y a de bien avec les films à sketches, c'est qu'on peut faire des jeux. Les cinéastes mettent en place des règles pour le film (ici : chacun réalise un segment de 20-25 minutes, enfermé dans une chambre d'hôtel un soir de nouvel an) et jouent à qui est le plus fort. Le spectateur, lui, joue à deviner quel réalisateur a fait quel film.
Et qu'est ce qu'on rigole !
Le premier segment est lamentable, l'histoire ridicule, les dialogues et les situations se veulent irrévérencieuses (y'a du cul) mais ne sont pas drôles, les effets de montages sont ringards et les effets spéciaux datés (volontairement ?). Le deuxième sketch est à peine mieux. Le troisième remonte un peu le niveau, avec sa tonalité hispanisante : Antonio Banderas et son accent gringo en caricature de macho, un joyeux bordel désorganisé, drôle et gonzo qui va crescendo. On reconnaît sans trop de mal la patte de Rodriguez, et c'est finalement pas loin d'être ce que le bonhomme a fait de mieux.
Le troisième segment touche à sa fin. Et là, un doute. Et si le segment de QT était parmi les 3 premiers ? Et si je n'avais pas réussi à reconnaître le réalisateur des 20 dernières années dont la signature est la plus marquée et identifiable ? Et si, tout simplement, ce brave Quentin avait fait un mauvais film ?
Le 4ème segment commence. Tim Roth est énervé, il appelle quelqu'un au téléphone. Une fille mignonne décroche, elle fume du crack, et en hors-champ, on entend la B.O. d'un vieux jeux vidéo. Tim Roth veut parler à Betty, la fille ne sait pas qui est cette Betty. Elle-même n'a pas vraiment l'air de savoir où elle se trouve d'ailleurs, mais la discussion entre eux s'engage quand même. Il lui raconte sa nuit (c'est à dire les 3 sketches précédents), c'est absurde, drôle, fluide, écrit à la perfection.
3-4 plans, 2-3 répliques, et on a compris. On a compris qui était le patron. Tout à coup les plans sont plus carrés, la caméra posée (les 3 autres tâcherons avaient l'air de penser que pour faire un film "cool", il fallait tout filmer de traviole et abuser de gros plans et de zooms), les répliques fusent avec une fluidité inrcroyable. Tout à coup les acteurs sont bons (même Tim Roth, insupportable pendant tout le film l'est un peu moins ici). Tout à coup les femmes sont belles. Tout à coup la mise en scène devient ample et pertinente. Elle est faite de très longs plans séquences en vue subjective, une manière de mettre le spectateur en position de parti-prenante, de l'impliquer en temps réel dans cette fin de soirée trop arrosée, un peu à la manière de ce qu'avait fait Hitchcock avec La Corde (sans la vue subjective).
Et là où tous les autres réalisateurs semblaient enfermés dans leur dispositif de huis-clos et se sentaient obligés de faire rentrer tout et n'importe dans la chambre d'hôtel pour donner l'impression qu'il s'y passait quelque chose (un clan de sorcières, un gangster exubérant, un cadavre caché sous le lit ou un incendie), Tarantino, lui, n'a de besoin de presque rien. Le décor est quasi vide, rien de délirant, juste une idée : un pari potache entre potes bourrés ("si t'arrives pas à allumer dix fois de suite ton briquet je te coupe le petit doigt") qui rejoue une scène de la culture populaire (à savoir, ici, un épisode de la série "Alfred Hitchcock Presents").
Alors bien sûr, on est dans le strict exercice de style de sale gosse cinéphage, du pur Tarantino 1ère manière où QT déploie son génie du langage, fait quasi-exclusivement de digressions (on ne comprend les "enjeux" qu'après les 3/4 du film) et de dialogues référencés à la culture pop, de "fuck" et de "bitch". Le film est totalement vain, pas encore émouvant comme le seront Jackie Brown et tous les films suivants. Mais peu importe, Tarantino est au dessus de la mêlée.