Chihayafuru par Ninesisters
Il y a une dizaine d'années, j'ai découvert un manga nommé Hikaru no Go. Ce titre symbolise à lui seul la capacité des mangaka à passionner leur lectorat quelque soit le sujet abordé, puisqu'il parle d'un jeu – le go – qui ne possède en lui-même qu'un intérêt limité pour le public occidental ; cela ne l'a pas empêché de cartonner dans cette partie du monde. Chihayafuru, c'est un peu le même principe, mais avec le karuta, jeu de carte où les participants doivent retrouver le plus vite possible la suite d'un poème récité, ladite suite se trouvant sur une des nombreuses cartes disposées entre les deux adversaires. La comparaison avec Hikaru no Go était facile, et s'arrête là.
Avec un tel thème, Chihayafuru ne donne pas forcément envie de prime abord. D'ailleurs, la série n'a pas fonctionné au Japon, notamment en raison d'une programmation tardive, incompréhensible pour un anime définitivement grand public et familial. Pourtant, il s'agit certainement d'un des meilleurs titres de l'année 2011, rien que ça !
Chihayafuru, c'est avant tout une histoire de passion. Celle de Arata, pour qui la pratique du jeu reste associée à son grand-père depuis sa plus tendre enfance. Celle de Chihaya, qui trouve dans le karuta un moyen de faire exploser sa volonté et sa joie de vivre. Celle de Taichi, pour qui ce n'est longtemps resté qu'un moyen de rester proche de son amie d'enfance, avant qu'il se prenne réellement au jeu. La série aurait pu parler de n'importe quelle passion ; en l'occurrence, il s'agit du karuta, et c'est tant mieux car cela apporte à la fois un côté sportif (les compétitions et les duels) et – plus surprenant – un côté culturel (les poèmes et leur signification).
Malgré sa composante "affrontements et tournois", il ne s'agit pas d'une adaptation de shônen, mais d'une adaptation de josei, comprenez un manga destiné à un public de femmes adultes. Et cela change (presque) tout. Si le spectateur bénéficiera effectivement de l'apport addictif des duels, cet anime repose moins sur les rivalités et la volonté de vaincre à tout prix que sur les personnages, leur rencontre, leur évolution, et leurs sentiments. Un titre mature qui sait laisser les spectateurs respirer, et dégager une ambiance presque contemplative, tout simplement zen, sans être dépourvu d'humour. En alternant les moments de pure tension et les phases poétiques et reposantes – sans pour autant que celles-ci paraissent longues ou inutiles – Chihayafuru réalise un véritable exploit.
Pour son adaptation animée, Chihayafuru bénéficie d'un emballage magnifique. Madhouse nous montre tout son savoir-faire en matière de couleurs, d'animation, et de textures, pour produire le meilleur résultat possible ; il suffit d'observer leur travail sur les habits traditionnels et les décors, ou de voir les cartes de poème prendre vie sous nos yeux tandis qu'un des personnages nous présente leur signification profonde, pour être transporté dans un monde de rêve et de poésie. Car Chihayafuru, à travers le karuta mais aussi grâce aux relations entre les protagonistes – très humains dans leurs qualités et leurs défauts – est un anime poétique, qui arrive même à devenir touchant.
Chihayafuru est un anime inattendu sur un thème inattendu. Mais tellement bien écrit par son auteur, tellement soigné par son studio d'animation, à la fois tellement poétique et tellement captivant, avec des personnages tellement humains, qu'il en devient une petite merveille de l'animation moderne. Une œuvre plaisante à suivre, familiale, belle, et touchante. Une seule chose à dire : chapeau.