Je vais vous parler d'un animé de sport sur un sport pas très sportif. Quoi? Ha-ha! Le ping pong? Mais non! Le karuta, bien-sûr!
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Comment ça?
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... vous êtes incultes ça me dépasse
J'encourage dès maintenant tous ceux qui ont des préjugés à regarder au moins le début de cet animé très réussi. Le karuta, voyons! Alors oui, comme ça, de prime abord, ce jeu de cartes basé sur la mémorisation de cent poèmes du répertoire classique japonais a l'air moyen à cause de la manière d'expliquer le but du jeu. Mais Chihayafuru fait plus qu'ouvrir à un échantillon de plus de cinq personnes ce beau passe-temps.
Le génie de Chihayafuru est dans l'intime interdépendance de la relation de ses personnages à eux-mêmes et au karuta. Ce n'est pas le récit des efforts d'un bloc indivisible qui se promène vers la finale à tous les championnats. C'est d'abord un animé humain, l'histoire de trois personnages. Ils se sont rencontrés enfants autour du jeu de karuta. Arata, le surdoué à lunettes, y a initié Chihaya, une fille et a rendu un garçon jaloux, Taishi. Ils se promettent de jouer au karuta ensemble, quand ils seront plus grand. Ils grandissent, Chihaya devient forte, elle retrouve Taishi au lycée. Arata a été perdu de vue. A partir de là, Arata, le surdoué à lunettes, devient un objet de désir par excellence, pour Chihaya bien-sûr, parce qu'elle va le chercher partout, et pour le spectateur car ses apparitions se font rares. Pourquoi "interdépendance"? Parce que, pour Chihaya, être forte en karuta, c'est un pas de plus vers une force comparable à Arata, qu'elle adore de loin, et Taishi, de son côté, ne sait s'il doit l'encourager! c'est son ami, donc il le fait... mais il dit bien: "je ne sais pas si je suis heureux de voir Arata ici...". Lui, s'il aime le karuta, c'est car il aime être proche de Chihaya. A-t-il besoin d'être fort, lui? Est-ce qu'il aime le karuta parce qu'il aime Chihaya, ou est-ce que c'est parce qu'il aime Chihaya qu'il aime le karuta? Il porte en lui cette hésitation: aimant le karuta en soi, par orgueil, par amour, par amitié, par goût du travail, il déteste savoir que Chihaya est sans cesse plus forte, et déteste l'ambiguïté par laquelle cette demoiselle l'envoûte! C'est la ténacité organique de ce trio tacitement amoureux qui le rend aussi cool!
Voilà... c'est un animé de personnages. L'humain. L'auteur privilégie l'humain avant tout
Chihaya comme je l'aime. J'ai rêvé d'elle deux fois. Bon elle pleure beaucoup par contre. Un moment elle pleure pendant qu'elle s'entraîne à être plus rapide! (saison 1 épisode 15). OH NON. Oh non pas ça on va pas commencer à comparer avec Shigatsu wa kimi no uso, non, ce n'est pas pareil. Car Kaori là, la blonde violoniste, elle n'a pas le défaut de pleurer: elle est le défaut de pleurer, et n'émeut personne.
Taishi, maintenant. L'auteur veut du personnage de Taishi qu'il désire son amie Chihaya. Son niveau indéfectiblement en deçà, l'amour qui naît en lui pour elle, sa rivalité tacite avec Arata, font qu'il la regarde d'en bas, toujours, il est plus mauvais. Elle brille. Attention, Taishi brille, lui aussi, il est joli, il travaille, il n'est pas sans valeur. Il faut donc que Taishi soit un perdant injuste, qui donne tout mais ne gagne pas. La solution qu'a trouvé l'auteur, c'est qu'il soit malchanceux, à chaque fois il perd en finale sur un manque de bol, des situations qu'on appelle "chance du tirage" donc il reste en classe B, tandis que Chihaya reluit en classe A, sans fierté. Je trouve ce genre de solutions un peu mécaniques. Elles entérinent l'idée très obsédante de l'escalade de puissance.
Ce fonctionnement de l'histoire en balancement logique bonus/malus ou inspiration/fatalisme (Ce type est fort, je vais perdre!) est caractéristique d'un animé de sport normal. Là, je trouve que l'auteur aurait pu se servir du fait que le karuta est un jeu poétique, pour se permettre de ne pas justifier certaines victoires ou défaites importantes, et en finir avec ces introspections bavardes qui nous rebattent les oreilles, en admettant que certaines victoires soient mystérieuses. Je trouve qu'elles auraient la beauté irrationnelle de l'événement transcendant qui ne s'explique pas. Les goûts et les couleurs...
Deuxième exemple de ce sentiment d'obligation de justifier les défaites et les victoires (mais ça spoil par contre)
Fin saison 2: Le subterfuge de faire se casser le doigt à Chihaya pour qu'elle perde contre Shinobu en demi-finale. Chihaya devait perdre contre Shinobu, pour aménager une finale opposant Shinobu à Arata. On le voit à dix mille kilomètres, que ce handicap va lui donner sa défaite logique.
Si l'on fait intervenir le facteur temps dans l'évaluation de cette série, je dirais qu'elle est trop lente. Où est Arata dans la deuxième moitié de la saison 1? Il n'est nulle part. Bah oui mais on s'ennuie sans lui... L'opération de mise en place d'un désir permanent de le voir apparaître est louable, ceci dit. L'aura du personnage, (comme celle de la relation entre Chihaya et Taishi) est faite en sorte de nous tenir en haleine. Le prix de ces heureuses promesses de passages intenses, comme le plaisir d'enfin voir Arata, ou celui de voir Taishi parler seul à seul avec Chihaya, est une quantité de flottements dans l'intrigue et de fillers chiants. Mais bon. On ne peut pas qualifier de maladresse cet étirement de l'action: c'est la stratégie!
Bon saison 2 les épisodes 8 et 9 sont pas gorgés d'action. On voit le club de musique s'emparer des locaux de celui de karuta au lycée: seul élément notable. Episode 9: les héros jouent contre un club étranger et ils gagnent, en se disant que même des étrangers peuvent jouer au karuta, waw!
Heureusement qu'il y a l'humour pour s'amuser un peu. L'intello à lunettes, Komano :"J'ai réussi à parler à un groupe de fille!". Et aussi j'adore les petits textes parfois en noir à côté des personnages qui servent de réplique humoristique.
Les personnages secondaires sont sans réelle profondeur, des faire-valoir du trio principal. J'ai détesté le moment où il a fallu recruter d'autres personnes dans le club, parce que tout ce qui m'intéresse, c'est Taishi et Chihaya, moi! Comment ils vont progresser, eux, dans leur rapport à eux-mêmes et au karuta. Mais finalement, on s'y fait. Ces trois membres du club n'attirent pas l'attention sur eux-mêmes, mais incarnent quelque chose de casanier, régulier, sans démesure, avec leurs petites vies et leurs volitions. Cependant nos héros sont confrontés à des adversaires de plus en plus intéressants, Shinobu je l'adore cette fille, une sorte de L féminin imbattable
Je crois avoir exprimé toutes mes impressions sur Chihayafuru. C'est une oeuvre calme et intelligente. Je ne saurais pas dire si c'est un animé de sport. Il y a une grande part d'émulation - Taishi veut devenir aussi fort qu'Arata -, mais ce n'est pas du sport nekketsu (le manga est un josei à la base), donc chaque adversaire n'est pas pris de front, comme une immense adversité, mais par ses sentiments, sa singularité. L'humain avant tout