"La cour de récré" version "all grown up"
Réussir aujourd’hui un bon sitcom relève de la gageure : ces 20 dernières années plus particulièrement, le genre a été largement exploré, laissant peu de place à l’originalité. J’étais d’ailleurs sceptique au moment de commencer Community. Mais le bilan est très positif pour ma part.
C’est l’histoire de Jeff Winger, brillant avocat ayant un don naturel pour manipuler les mots et les gens. Le problème avec ce genre de personnes, c’est qu’elles ne savent pas réellement comment travailler. Aussi le barreau réalise-t-il un jour que Jeff Winger est un imposteur, ses diplômes étaient en réalité falsifiés. Pour conserver sa situation et son train de vie, il n’a plus d’autre choix que de reprendre des études, il choisit donc ce que nous appellerions une université publique (community college – un endroit où l’on trouve tous les étudiants qui n’ont ni bourse, ni suffisamment d’argent que pour payer une fac privée), Greendale où enseigne un client qui lui doit beaucoup, espérant que celui-ci magouillera pour lui éviter de travailler… Ce qui n’est bien sûr pas le cas. Il ne reste plus à Jeff qu’à travailler comme n’importe quel étudiant. C’est alors qu’il fait la connaissance de Britta, qu’il décide aussitôt de séduire. La belle n’est pas une fille facile, aussi il ne trouve qu’une solution pour se rendre attirant : il se fait passer pour un assistant en espagnol gérant un groupe d’études qui, bien évidemment, n’existe pas. Il lui donne donc rendez-vous pour étudier. Le problème, c’est que Britta parle autour d’elle du groupe d’études, attirant un certain nombre d’invités surprises. Jeff n’a plus le choix : bon gré, mal gré, le groupe d’étude est lancé, pour le meilleur et pour le rire (oui je sais, facile).
Community repose donc sur une galerie de personnages parfaitement hétéroclite :
-Jeff, bien sûr, dont j’ai déjà assez parlé. Il s’impose naturellement comme le leader du groupe par son charisme et son charme ;
-Britta, passionaria engagée, féministe, qui a décidé de ne pas céder aux avances de Jeff dans un bras de fer qu’elle compte bien remporter haut la main ;
-Abed, jeune d’origine arabe élevé par la télé et la pop-culture américaine de manière générale, fanatique de réalisation possédant une mémoire absolue, s’exprimant à l’aide de citations de films ;
-Troy, compère d’Abed, afro-américain, ancien roi de son lycée, ex quarter back, dont la vie est un teenage movie ;
-Annie, venant de la même école que Troy, secrètement amoureuse de lui, ex-junkie incapable de gérer son stress et les situations difficiles ;
-Shirley, mère au foyer afro-américaine, grande catholique récemment divorcée qui a décidé de prendre sa vie en main. Passionnée de brownies ;
- Pierce, vieux mythomane sexiste, raciste, homophobe qui possède un don naturel pour sortir des horreurs, faire chier son monde et agresser sexuellement tout ce qui ressemble de près ou de loin à une femme ;
- last but not least, Señor Chang, le professeur d’espagnol sino-américain, un véritable psychopathe qui prend son pied à pourrir la journée des autres avec application, dénué de la plus infime once de morale.
Autour d’eux gravitent des personnages aussi variés que le doyen (prêt au pire pour faire reconnaitre sa fac), Vaughn (étudiant membre d’un groupe de rock, hypersensible, incapable de garder son T-shirt plus de quelques minutes), Starburns (il a taillé ses favoris en étoile, pourquoi pas), et divers profs tous plus débiles les uns que les autres.
On le voit, le casting est plutôt fourni pour le genre. Et la recette fonctionne merveilleusement bien. Simplement parce que Community se lit avec un degré d’écart par rapport aux productions habituelles, presque une parodie de sitcom. La série est d’ailleurs bourrée de références à la pop-culture américaine, qu’il est conseillé de connaitre un minimum. De nombreux épisodes parodient un genre précis : teenage movie, film d’action, film de mafia, de sport,…, avec un talent certain.
Au-delà du rire, Community nous plonge dans la méritocratie américaine sans nous épargner : Greendale possède une réputation exécrable, qui attire aussi bien les malchanceux que les égarés et les fraudeurs, la moitié des profs sont des fumistes, le doyen a oublié sa fierté depuis longtemps dans sa quête d’un buzz, d’une identité qui ferait de Greendale un lieu incontournable. Côté étudiants, voir des jeunes nouvellement diplômés côtoyer des gens de tous âges et de toutes origines a quelque chose à la fois de fantasmatique et de dérangeant. On est loin des images habituelles des écoles américaines remplies de winners qui finissent tous à Harvard ou à Yale où ils prolongent leur vie de rêve (américain) dans toute la gloire d’un système où il suffit de le mériter pour gagner.
Critique par saison, au fur et à mesure de mon visionnage :
Saison 1 : 8/10 : le concept est efficace malgré un rythme inégal. Quelques épisodes frôlent le génie, certaines scènes sont totalement réussies, alors que d’autres sont presque ennuyeuses. Néanmoins le magnétisme des personnages reprend toujours le dessus, même les habituelles histoires de coucherie sont drôles et sympa à suivre.
Saison 2: 8/10 : si l'effet de surprise a disparu et que le fil conducteur de la série est quelque peu délaissé, cette deuxième saison est tout simplement remplie d'épisodes cultes: le Noël d'Abed, Halloween, les épisodes finaux, le simulateur spatial, le trampoline, D&D... prouvant que les scénaristes ont des idées à revendre.
Saison 3: 7,5/10 (ouais, on peut pas, je triche, c'est grave!): plein de bonnes idées, mais beaucoup de déjà vu dans les saisons précédentes.
Saison 4: 6,5/10. Considérée par beaucoup comme une catastrophe, je trouve pour ma part qu'elle n'est pas si mal. La réalisation est certes moins inspirée, le concept s'épuise et la presque absence de Pierce dans la seconde moitié est certes déplorable, mais la magie opère toujours, et l'on trouve encore quelques vrais coups de génie. Je suis impatient de voir la suite!
EDIT: J'ai commencé à regarder la cinquième saison, pas encore achevée. Marquant le retour de Dan Harmon, elle nous offre beaucoup de sensations : un peu de tristesse face au départ apparemment plus ou moins définitif de certains personnages (Troy et Pierce pour ne pas les citer), mais également beaucoup de bonheur. Harmon est parvenu à redynamiser la série en faisant le choix de ne pas réchauffer le phénomène Community. Les fondamentaux de la série sont encore là, c'est à dire la majorité du casting, Greendale et tout le côté loufoque et improbable de la série, mais il semble avoir décidé également de faire du neuf avec du vieux : cette cinquième saison est ainsi beaucoup plus proche dans ses thèmes de la première, et renoue avec son aspect cynique et pas si gentil que ça. Le caractère des personnages est également réévalué, à l'image de Britta, dont le côté air-headed, très exploité dans les deux dernières saisons, est ici relativisé pour revenir à son caractère original de rebelle bobo, ou de Abed, qui voit ses caprices d'enfants gâtés entrer en collision avec la réalité. Le scénario prend également un nouveau cours que je ne spoilerai pas, toutefois je peux dire que le choix opéré à ce niveau, s'il peut paraitre rocambolesque, est à mon avis plutôt heureux, puisqu'il vire le plus lourd pour conserver le meilleur. Enfin, l'esthétique a été largement repensée, qu'il s'agisse du jeu de couleur, plus froid, mais également de prises de vue qui changent de ce qu'on a vu pendant 4 saisons. Donc il est un peu tôt pour formuler un jugement définitif, mais je suis très enthousiaste pour la suite. Les 9 épisodes que j'ai déjà visionnés contiennent assez de passages d'anthologie pour ça ( en particulier l'imitation par Abed de Nicolas Cage, qui constitue une vraie bénédiction divine).
Rafraichissant.