Sans doute parce qu’il lui ressemblait un peu, et surement parce que je pouvais le voir à dates fixes et de manière non déceptive, j’ai longtemps considéré John Koening, le commandant de la base Alpha, comme mon vrai papa. Alors que j’apprenais la mort de son interprète, ce matin, et me souvenant soudain de cet étonnant rapprochement, je me rendais compte que la comparaison n’était finalement pas si saugrenue, au moins du point de vue de l’émotion ressentie au moment de l’annonce de leurs disparitions respectives.
Martin landau, que je devais ensuite suivre avec un regard plein de tendresse tout au long d’une carrière trop discrète, a d’abord (et toujours) été, pour moi, le boss de la base Alpha.
Diffusée à partir du mois de décembre 1975 dans le cadre de samedi est à vous sur TF1, la série anglaise devait hanter toutes les nuits de mes week-end pendant plusieurs mois, alimentant de nombreux cauchemars dont Martin était toujours absent : lorsque John m’apparaissait en rêve, ce dernier cessait aussitôt d’être agité et menaçant. Il me fallait bien deux nuits d’effroi pour pouvoir attaquer le lundi suivant en donnant le change et présenter aux copains de la cour le visage impavide du gamin blasé. Et si la série me terrifiait (j’avais tout juste 7 ans), j’avais encore plus peur d’être privé de cette dose d’étrangeté hebdomadaire si j’osais avouer à ma mère mes insomnies. Il fallait donc que je garde pour moi ce secret délicieusement terrifiant. Il s’agissait alors d’une de mes premières et terribles leçons: l’art jette des ponts (salutaires, certes, et au mépris de toutes les distances, c’est là toute sa grandeur) entre des ilots de solitudes.
John Koening était un vrai héros, capable de choses merveilleuses, comme de garder un air autoritaire et crédible affublé d’une pyjama avec une seule manche colorée, dotée d’une fermeture à glissière du plus bel effet. Comme, aussi, de parler à d’autres habitants de la station spatiale via un écran bombé, en noir et blanc, situé au bout d’un parallélépipède rectangle attaché à sa ceinture, ou même (encore mieux !) d’ouvrir des portes sans avoir à les toucher grâce à ce même accessoire. Mais le mystère suprême se situait ailleurs.
La base alpha, c’était ce cocon de lumière et de chaleur au sein d’un univers infini et hostile peuplé d’extra-terrestres inquiétants ou de dimensions parallèles mortifères. Cette base lunaire était la projection fantasmatique, l’extension merveilleuse, de mes premières cabanes en coussins, éclairées à la veilleuse, confectionnées dans l’immensité d’un salon ou d’une chambre nocturne et inhospitalière. Elle était l’annonce et la promesse de mes amours pour toutes constructions humaine destinée à braver en mouvement l’adversité : vaisseaux, bases dérivantes, navires ou véhicules à roue : qu’importait la forme ou la vitesse de déplacement, pourvu qu’à l’intérieur on puisse dessiner ensemble les contours d’une cohabitation chaleureuse vouée à contrer les vertiges de l’inconnu.
John arpentait ses couloirs souvent angoissants avec la témérité du chef qui doute mais qui agit avec l’appui indéfectible de ses compagnons, pugnaces mais fidèles, aux noms inoubliés : Helena Russell, Alan Carter, Sandra Benes, Victor Bergman, Paul Morrow ou David Kano. Dans son fauteuil de commandant ou aux commandes d’Aigle Un (dont mon frère me ramènerait plus tard une merveilleuse version jouet, d’un de ses premiers voyages en Grande-Bretagne), John était tour à tour un repère, un guide, une boussole, au cœur d’un espace démesuré et sans limites. L’abri protecteur au sein d’une tempête spatiale permanente et glaçante.
John Koening a été mon premier véritable héros, un condensé de Zorro, Michel Vaillant et Langelot, et il ne pouvait avoir d’autres traits que ceux de Martin Landau. Un peu plus tard, j’apprenais qu’il avait aussi été Rollin Hand dans Mission impossible, Leonard dans la mort aux trousses ou même Rufio dans Cléopâtre, avant de devenir un Bela Lugosi inoubliable avec Tim Burton. Mais tout ceux-là ne compteraient pas réellement, et c’est bien un des drames que vivent souvent les acteurs: à tout jamais, ils restent intimement pétrifiés sur le piédestal d’un seul rôle, pour beaucoup de leurs admirateurs.
Et maintenant que Martin va poursuivre l’aventure au fond d’une petite boite (ou d’une jolie urne), John va pouvoir à tout jamais continuer à explorer les immensités stellaires dans une capsule un tout petit peu plus vaste, portée par nos rêves d’enfants. Le panthéon qu’il occupe est sans doute un peu plus étroit à la taille que celui de Joss Randall, Danny Wilde ou Don Diego de la Vega, mais il a de sacré pattes d’eph et un impact visuel inoubliable.
John, pour tout dire, fut pour moi une sorte de mâle alpha.