Faut-il nécessairement faire preuve d’inconscience caractérisée, ou d’une ambition démesurée, pour s’attaquer à l’une des séries d’animation japonaise les plus cultes de ces trente dernières années ? C’est la question que l’on peut légitimement se poser au regard du projet d’adaptation de Cowboy bebop, dont Netflix vient de diffuser la première saison. Mais quelle mouche les a donc piqués était-on en droit de se demander. Pour quelles raisons était-il nécessaire de se pencher à nouveau sur une série animée qui avait réussi l’exploit de réunir sous une même bannière le public comme la critique et dont chacun s’accordait à reconnaître les mérites.
Diffusée initialement entre 1999 et 2000, la série originelle racontait, en 26 épisodes d’une vingtaine de minutes, les aventures de trois chasseurs de prime, Spike Spiegel, Jet Black et Faye Valentine, sillonnant à bord de leur vaisseau spatial (Le bebop) les quatre coins du système solaire pour faire la chasse aux criminels. A la fois drôle et décalée, mais non dénuée d’une certaine profondeur, la série avait réussi l’exploit de construire un univers fascinant et cohérent, magnifié par une ambiance étonnante et porté par des personnages extrêmement bien campés et profondément humains. L’excellente musique concoctée par Yoko Kanno, très influencée par le jazz et le blues, n’était pas non plus étrangère à cette réussite artistique complète sur le fond comme sur la forme. Au fil des épisodes se dessinait une autre histoire, celle de Spike et de ses petits camarades. Une mélodie douce et amère, profondément mélancolique où le passé rejoignait le présent et dépassait le cadre établi pour toucher des thématiques bien plus profondes, quasi métaphysiques. Le poids du passé, que l’on porte sa vie durant et qu’il faut pourtant réussir à dépasser, les choix que nous effectuons pour avancer sur notre propre chemin, la valeur de la vie, l’amour et l’amitié….. des thèmes que la série traitait avec subtilité et délicatesse au fil d’une narration tout en ellipses, presque éthérée…. autant de raisons qui ont fait de Cowboy bebop un monument de l’animation japonaise, auquel les fans vouent un véritable culte (moi le premier).
Pris indépendamment, chaque épisode était déjà d’un excellent niveau, mais c’est la subtilité de sa métanarration qui rendait l’ensemble si cohérent et si riche. C’est sans doute ce que Netflix n’a pas compris, car si l’univers est bien là, toujours aussi classe et fascinant, que l’alchimie entre les personnages fonctionne parfaitement et que l’ambiance sonore est toujours aussi envoutante, il manque ce petit supplément d’âme qui rendait l’animé si attachant. La subtilité a disparu, les zones d’ombre sont bien trop éclairées et les secrets se sont évaporés. Cette nouvelle adaptation veut trop expliquer, trop montrer et ne laisse plus de place à l’ambiguïté et à l’implicite qui faisaient en grande partie le charme de cette histoire. Pire, toute la dimension mélancolique et métaphysique a disparu, les ressorts profondément existentialistes de la série originelle ont été gommés, cette idée, portée par les personnages, que l’on vient au monde sans but précis et que l’on se cherche toute sa vie, entre vague à l’âme et solitude a totalement disparu. Alors que Spike, Faye ou Jet pouvaient initialement paraître un peu caricaturaux, ils finissaient par prendre de la substance ; au fil des 26 épisodes leurs contours étaient peu à peu dessinés et laissaient entrevoir des personnalités plus complexes, hantées par leur passé et par la perspective de leur propre finitude.
Mais que reste-t-il dans cette nouvelle version du matériau originel ? Plus grand chose, si ce n’est l'enveloppe.
Dernier point sans doute négligé par Netflix et ses équipes, le dessin permettait une certaine distanciation vis à vis de l’univers un peu décalé de Cowboy bebop et empêchait la série de sombrer dans le premier degré et de se transformer en série B un peu ridicule. Ce qui passait en animation ne passe désormais plus avec de véritables acteurs et bien que les décors et les effets spéciaux soient de tout premier plan, on ne peut s’empêcher de trouver l’ensemble légèrement too much et pas forcément de très bon goût. L’animé usait et abusait des clichés, tantôt se les appropriant, tantôt les détournant, mais toujours en connaissance de cause, alors que la série de Netflix s’y complait ardemment, reproduisant sans jamais rien créer. Une grosse machine qui, une fois de plus, tourne à vide.