Il fallait s'y attendre. Dès l'annonce d'une version "live" par Netflix de Cowboy Bebop, la mythique série de Shinichirô Watanabe, la méfiance était de mise, surtout quand on connaît la propension du grand N rouge à vouloir absolument coller une tendance sur chaque adaptation. Sweet Tooth troquait sa noirceur et sa dureté contre un conte enchanteur avec une touche de contraste, et Locke and Key mettait sous le tapis l'âpreté du récit original pour un lissage en bonne et due forme. Comme si chaque œuvre devait passer par une standardisation en bonne et due forme.
Mais pour Cowboy Bebop, de minuscules lueurs d'espoirs venaient illuminer le projet, à commencer par le casting. L'annonce de John Cho en Spike n'était pas bête, de même que Mustafa Shakir en Jet et Daniella Pineda en Faye. Quelques mois plus tard, Netflix récupère Yôko Kanno pour la musique, et l'intérêt grimpe d'un iota, me disant que même si la série est foireuse, une BO par la même équipe musicale que l'originale serait au moins de qualité. De maigres espoirs, mais des espoirs quand même.
Et il suffit de quelques minutes sur le premier épisode pour comprendre que Cowboy Bebop by Netflix est un ratage en bonne et due forme. Que ce soit le choix des lumières, la réalisation peu inspirée et grandiloquente ou certains effets esthétiques comme ces flashbacks digne d'un téléfilm érotique, l'adaptation tente vainement de reproduire l'original et son caractère sans en comprendre la substance. Rien que sur la musique, identique à la série originale, tout est utilisé à tort et à travers, sans comprendre la musicalité des morceaux, jusqu'à enchaîner presque tous les thèmes connus sur les deux premiers épisodes. Et les personnages et leurs dialogues ne sont pas là pour rattraper le désastre.
Premier constat: alors que Vicious et Julia restent en sous-marin dans l'anime original, ils sont ici au premier plan d'un fil rouge qui ira bien plus loin, et pas pour le meilleur. L'adaptation reste fidèle sur l'histoire puisque beaucoup d'épisodes seront ainsi retranscrit pour s'insérer au chausse-pied dans l'intrigue générale. Le Cowboy Bebop original était surtout constitué d'épisodes indépendants venant parfois amener des éclairages sur le passé des personnages, avec en point d'orgue des ponctuations concernant le trio Spike-Vicious-Julia. Chez Netflix, on préfère l'efficacité: la montée au pouvoir de Vicious et le passé mystérieux de Spike qu'il cache à ses amis seront les enjeux de cette première saison, parsemée de quelques intrigues secondaires parfois assez réussies (l'amnésie de Faye), souvent lourdingues (Jet et sa fille) mais surtout un jeu d'acteurs qui confine souvent au navrant.
L'exemple le plus parlant est Vicious. Personnage quasi-mutique, élancé et insondable dans l'animé, il se transforme ici en un idiot fils à papa, facile à énerver et résolument méchant. Car ses maudites grimaces et un jeu d'acteur renversant de nullité ne font aucun doute: Vicious est un vilain au sens le plus basique du terme, agrémenté d'un charisme aux abonnés absents. Le même qu'aurait un bigorneau voulant conquérir le monde.
Cette volonté de forcer le trait se retrouve sur beaucoup d'autres personnages, comme Julia qui troque sa présence volatile et presque éphémère contre le rôle d'une starlette effarouchée qui opèrera dans son comportement un sacré virage à 180 degrés en fin de saison. Spike, quant à lui, n'aura pas les honneurs d'un traitement correct. Si le Spike originel était nonchalant et doté d'un je-m'en-foutisme à toute épreuve, et logique par rapport à ce qu'est le personnage, celui de Netflix tombe à côté de la plaque. Constamment sur une ligne humoristique, trop cool pour être vraiment cool, il sombre même dans le graveleux à plusieurs moments de la série, assumant un côté beauf qui ne lui va pas du tout. Jet et Faye s'en sortent mieux, peut-être parce qu'il fallait bien contrebalancer en terme de caractère, mais la série sombre dans une attitude provoquante qui ne marche jamais.
Oui, par certains aspects, la série animée peut aligner les clichés mais elle le fait parce qu'elle assume ses influences et en fait sa force. Faye est une femme fatale un brin enquiquineuse (l'une des rares réussites de l'adaptation) parce que c'est sa façon de construire sa personnalité et sa carapace par rapport à ce qu'elle a vécu. Le côté cool de Spike apparaît bien vite comme une façade et une parenthèse à sa vie d'avant.
Sur Netflix, le cool est vulgaire, et les clichés deviennent des séquences tapageuses qui sont juste là pour titiller et jouer sur la provocation. Dans l'original, on y parle de philosophie d'arts martiaux ou d'une mystérieuse entité pour un épisode hommage à Alien, autant de façons de se servir des références cinématographiques ou musicales pour apporter de la profondeur. Dans le remake, on y voit une scène dans un club SM ou un dialogue concernant la meilleure façon de se raser les roubignolles. Jamais la série Netflix ne vient se questionner sur l'impact de ses références, elle est juste là pour aligner son mauvais goût en pensant que le spectateur aime la série B pour son politiquement incorrect et sa gratuité.
Difficile de ne pas faire la comparaison, tant cette version live fait appel à l'original. Mêmes musiques, mêmes personnages secondaires, parfois retouchées pour se caler sur l'intrigue, même volonté de créer de la perspective dans les cadres. Mais c'est bien ici la plus grosse faiblesse de cette adaptation. L'anime original possédait une forte influence occidentale pour créer un véritable melting-pot de références et de cultures, passant autant par la diversité représentée dans les villes et leur population que par la culture cinématographique qu'il emprunte, jusqu'à la transcender et en faire son propre mélange.
Le Bebop de Netflix se contente de reprendre les spécificités du dessin animé sans jamais réfléchir au pourquoi du comment. Il se rate en pensant l'inclure dans une stylisation et une accumulation de clichés sans âme, quitte à tomber dans un fanfilm qui ne comprendrait même pas pourquoi l'original est si exceptionnel. Pourquoi on s'attache immédiatement à ses personnages, à leur manière de croire que tout va bien alors que s'installe une profonde mélancolie. Pourquoi l'attachement entre eux, ce n'est pas de simples blagues grivoises, mais plutôt une façon de se serrer les coudes pour mieux se soutenir malgré les emmerdes. Le Bebop de Netflix rate toutes les cases, les personnages sont régulièrement à côté de la plaque, et mise sur une fausse idée que l'on se fait des personnages et de sa réalisation.
La fin de la saison ne rassure clairement pas à une éventuelle saison 2, mais la série conforte dans l'idée que Netflix continue à maltraiter ses adaptations pour qu'elles rentrent dans des algorithmes et qu'elle attire toujours plus d'abonnés. Heureusement, l'original existera toujours.
See you, et adios, space cowboy