Je crois que ce qu'il faut avant tout reconnaître à Crazy ex-girlfriend, c'est son courage. Le courage de choisir le format de la comédie musicale, souvent repoussoir et poussivement explicatif, et celui de traiter du thème extrêmement délicat de la maladie mentale. Et je dis bien traiter, et non pas s'en servir comme d'un vernis subversif sans jamais prendre le risque de parler du problème en profondeur. En faisant siens ces deux principes tout au long de ses quatre saisons, la série m'a déjà conquis, peu importent ses défauts et ses moments de faiblesse.
Crazy est d'abord une oeuvre particulièrement bien écrite, qui gère adroitement le passage du registre comique au dramatique et qui se montre à l'aise dans les deux. Je dirais même que cette coexistence des deux leur permet de s'enrichir mutuellement. C'est aussi permis par l'intelligence et la grande subtilité de son écriture, d'un comique acéré et très bien renseignée sur les sujets qu'elle aborde, de la maternité aux illusions de l'amour en passant par la pression exercée par la société sur l'apparence des gens. Elle aborde aussi de front des thématiques politiques primordiales concernant le genre, la sexualité ou la parentalité, et c'est assez rare pour être noté.
La série est également très maline dans sa construction narrative : elle attire d'abord par sa légèreté et un cliché, l'ex folle, avant d'amener avec un naturel désarmant son intrigue sur le terrain du drame intime, sans jamais se départir de son sens de l'observation comique d'une efficacité redoutable. Souvent elle arrive donc à faire rire en faisant passer un message : voir le cas d'école de la chanson "Sexy getting ready song", garantie sans spoiler, mais qui donne le goût de l'ensemble, au point d'équilibre entre le comique de situation et le développement d'un propos féministe : https://www.youtube.com/watch?v=ky-BYK-f154
Cette réussite est aussi possible parce que du début à la fin, la série déploie une énergie formidable à donner corps aux sentiments de ses personnages. Le travail effectué par le casting autant que les équipes techniques n'a pas arrêté de m'impressionner : les chansons sont inventives et drôles aussi parce que savamment mises en scène et interprétées. Le talent des interprètes est enthousiasmant, et quelle bande ! Tou·te·s, jusqu'aux plus petits rôles, sont aussi bon·ne·s comédien·ne·s que chanteur·se·s et danseur·se·s, ce qui fait que l'attachement à leurs personnages est d'autant plus facile et rapide.
J'aime aussi la série parce que malgré des difficultés d'audience et des départs dans le casting, elle a gardé son cap, avec souvent des choix osés. Je ne peux pas trop en dire pour ne pas dévoiler l'intrigue, mais disons que la série explore ses thèmes jusqu'au bout, sans concession et, d'après les spécialistes, avec une rigueur exemplaire. Mais elle le fait en restant toujours accessible et drôle. Avoir ce niveau d'exigence avec un sujet aussi difficile que la santé mentale, je trouve ça admirable.
Bien sûr, on peut tout à fait ne pas adhérer au genre des comédies musicales, même si j'insiste sur le fait que l'intelligence de leur utilisation dans le récit vaut le détour, et la personnalité de son personnage principal peut agacer, ce qui est cohérent avec le propos de la série mais n'en reste pas moins un point discutable. Parfois la série peut manquer de nuance au nom de l'efficacité comique, mais cela reste secondaire comparé à la justesse de l'ensemble.
Dans tous les cas, je suis très heureux qu'une série comme celle-ci existe, parce qu'elle me donne beaucoup d'espoir sur ce que peut créer et amener la fiction. Et puis, je ne vais pas mentir, beaucoup de ses sujets entrent en résonance particulière avec mes expériences. Mais même sans ça, Crazy ex-girlfriend ne ressemble à aucune de ses semblables et apporte un rafraîchissement bienvenu au genre. Je vous encourage donc, au minimum, à lui donner une chance.