Que le Karim soit, et le Debbache fut...

Il est apparu comme ça, d’un coup, comme sorti de nulle part. Une annonce sur « jeuxvideo.com » puis une invitation sur « Radio Usul ». Et voilà comment Karim Debbache est rentré dans ma vie… Ce sourire enjôleur. Cette répartie piquante. Cette passion dévorante qui fusait à chacune de ses prises de parole pétaradantes… Ah ça oui ! Au-delà même de l’émission « Crossed », il y a un personnage. Et difficile d’aborder la première sans évoquer ce charme assez magnétique du second. Karim Debbache, ce n’est pas l’embobineur à la Julien Chieze qui va te parler de jeux-vidéo avec un jeu scénique aussi artificiel qu’agaçant. Non, Karim Debbache, c’est au contraire le charme de l’homme qui affiche très rapidement sa volonté manifeste d’optimiser au maximum chacune de ses productions. Moi, en tout cas, c’est ça qui m’a séduit dès les premiers instants…

Dès le premier épisode, aucune perte n’est tolérée. Il faut qu’il y ait de la densité, du rythme et du sens. Aucun vide ne doit être laissé. Même chaque décalage humoristique ne doit pas trop s’étendre. Il s’agit de poser un style et un état d’esprit tout de suite. Oui, Karim Debbache entend développer son concept en dehors des normes pompeuses de l’analyse de cinéma. Mais non, ce n’est pas parce qu’il va décider de questionner le rapport du cinéma au jeux-vidéo qu’il va pour autant mener cette analyse sans rigueur ni exigeance. En cela, Karim Debbache se pose très vite dans la lignée d’un Usul qui, à l’époque, officiait dans le même giron « JVC », lui aussi dans une démarche d’analyse de la culture pop des jeux-vidéo. Mais personnellement, je trouve que l’élève a très vite dépassé le maître, aussi bien dans le fond que dans la forme.

Car oui, la première chose que j’apprécie dans cette émission qui durera au final deux saisons et vingt-huit épisodes, c’est la profondeur du travail fourni. L’analyse, beaucoup s’y risquent, mais peu y réussissent, surtout quand c’est pour aborder un domaine qui ne dispose pas encore de son UFR à la fac. Il y a tout à inventer. Il faut une certaine rigueur intellectuelle. Du recul. Questionner ses pratiques. Avoir une capacité à élaborer un modèle théorique, l’expliquer et l’éprouver à l’écran. Or, pour moi, « Crossed » fait exactement cela. Au cœur de son propos se trouvent toujours des questions permanentes sur le mode de fonctionnement d’une narration vidéoludique et sur leur prise en compte au moment d’opérer l’adaptation vers cet autre format qu’est le cinéma. On ne ressort jamais d’un épisode sans avoir appris quelque-chose sur le cinéma, sur le jeu vidéo ou sur les deux. Et l’air de rien c’est quand même une belle gymnastique de parvenir à ça. Partir d’un matériau restreint (puisque les films parlant de jeux-vidéo) ne sont finalement pas très nombreux, et réussir à faire en sorte que du particulier, on arrive à aboutir à des considérations plus générales.

Mais si je parlais juste à l’instant d’élève qui dépassait son maître, c’est parce que l’autre gros point fort de ce « Crossed » c’est sa capacité à faire de la vulgarisation à la cool. Or, sur ce domaine là, c’est bien le « 3615 » qui, selon moi, a posé toutes les bases dans le web français. Des bases qui, en plus, sont loin d’être évidentes à maitriser. Car oui, ils ont été nombreux les Youtubeurs en herbe à massicoter leur démonstration par une multitude de parenthèses humoristiques déconnectées du fond de leur propos. Là, comme dans « 3615 », la parenthèse humoristique sait faire son office de respiration tout en complétant ce qui vient d’être dit. On s’amuse de la logique du sujet qu’on traite. On le tourne en dérision. On y apporte du recul, quand on n’apporte pas carrément de l’information supplémentaire, comme c’est le cas par exemple lors du vrai-faux making-of de l’épisode 4 sur « King of Kong ». En tout cas, avec une fréquence plus courte certes que le « 3615 », mais avec des propos plus longs et plus développés, l’ami Debbache a vite démontré qu’il maitrisait clairement cette science de l’équilibrage entre humour et transmission de savoir. Pas étonnant d’ailleurs que ce gars là ait fini pendant un temps à écrire aux côtés de Frédéric Molas et Sébastien Rassiat, les deux compères de « Joueur du Grenier ».

Et puis voilà quoi… 28 épisodes. Seulement 28 épisodes ! Quelle autre chaîne peut se vanter d’avoir fait autant de bruit ; d’avoir autant impacté la culture toute fraiche du net français avec si peu de vidéos ? Là où des chaines produisent jusqu’à plusieurs vidéos par jour mais pour qu’au final celles-ci soient jetées aussitôt consommées (oui Julien Chieze, c’est encore à toi que je pense), là, un épisode de « Crossed » peut se voir et se revoir des dizaines de fois. Chaque épisode est si dense qu’on ne peut jamais vraiment tout en retenir. Chaque revisionnage est une redécouverte ; une manière d’apprivoiser le style et la narration Debbache. Mieux encore, l’émission a beau s’être arrêtée il y a de cela trois ans (ce qui représente au moins trois périodes historiques différentes à l’échelle de Youtube), « Crossed » peut encore se découvrir et s’apprécier pour ce qu’elle est, c'est-à-dire une émission de « passeurs de savoir » soucieux et pertinents. D’ailleurs, si vous ne connaissez pas encore cette chaîne et que la thématique vous intéresse un temps soit peu, je pense que vous savez ce que je vais vous inviter à faire au plus vite, car vous aussi, vous méritez de tomber sur le charme du magnifique Sieur Debbache…