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Une arnaque à 1,6 milliards d’euros
En 2005, l’Union Européenne met en place un système d’échange de quotas carbone visant à diminuer l’émission de gaz à effet de serre. Pour faire simple, les entreprises les plus vertueuses d’un point de vue environnemental ont la possibilité de vendre des parts de droit à polluer à celles qui ont dépassé le seuil autorisé. Or, il est rapidement apparu que ce système comprenait des failles dans lesquelles se sont engouffrés des malfaiteurs peu scrupuleux à l’idée de détourner l’argent public.Il était en effet possible d'acheter des quotas hors TVA par l'intermédiaire d'une société factice dans un pays étranger puis de les revendre en France à une autre société factice, à un prix incluant la TVA¹… D’un montant exorbitant de19,6 %, celle-ci n'était jamais reversée à l'État, les entreprises en cause disparaissant avant que quiconque ait pu bouger le petit doigt. L'argent détourné était ensuite réinjecté dans la boucle créant ainsi un effet boule de neige colossal. Les recettes étaient enfin placées sur un compte dans des états peu coopératifs en matière de lutte contre la fraude¹afin d’être logiquement blanchies. Marco Mouly et Samy Souied, deux Tunisiens de Belleville que l’on pourrait aisément qualifier d’escrocs, perçoivent rapidement les possibilités offertes parce marché naissant. Toutefois, pour que ce détournement de fonds puisse s’avérer profitable, ils se devaient d’investir une somme que les deux voyous étaient loin de posséder. C’est pourquoi, lorsque l’occasion leur a été donnée de se rapprocher d’Arnaud Mimran, un jeune trader fortuné marié à la fille d’un richissime et influent entrepreneur français, ils n’ont pas laissé passer leur chance. Malheureusement pour les contribuables que nous sommes,cette alliance improbable entre magouilleurs de seconde zone et nouveau riche exposant fièrement ses signes extérieurs de richesse allait aboutir à ce qui acquerra le titre tristement honorifique d’ « arnaque du siècle ».
1,2,3 escrocs
Cette histoire paraît tellement incroyable qu’elle a déjà connu une adaptation au cinéma par Olivier Marchal (« Carbone ») et a eu le droit à son documentaire, « les rois de l’arnaque » diffusé sur Netflix. Inspirée du livre enquête du journaliste Fabrice Arfi, « D’argent et de sang » ne se contente pas de nous relater chronologiquement la réalité des faits tels qu’ils se sont déroulés. Elle prend surtout le parti de nous brosser les portraits de personnages dont elle a pris soin, dans un souci de liberté narrative, de modifier les noms. En lieu et place de Marco, Samy et Arnaud Mimran, on fait donc connaissance avec Fitous, Bouli et Jérôme Attias. Grâce à l’interprétation excellente des comédiens qui les incarnent, va se dessiner la personnalité de trois voyous qui n’ont qu’une idée en tête : amasser du cash. Encore et toujours plus. Jusqu’à ne plus savoir quoi en faire. Et si Bouli s’avère être le plus sympathique, c’est qu’il s’assume pleinement en tant qu’escroc et ne cherche à se dédouaner de l’aspect immoral de ses actes. Tout le contraire de Fitous qui utilise l’argument du modeste statut social de ses parents pour réclamer sa part du gâteau. Aussi énorme soit-elle. Parti de rien et passablement bon à rien si ce n’est voler et mentir à tous et à tout le monde, il se plaît à « baiser » le système avec une gourmandise indécente. Toutefois, mauvaise fortune aidant, le récit finit par presque exclusivement se concentrer sur le parcours de Jérôme Attias. C’est narrativement regrettable mais force est de constater qu’avec lui, il y a toujours quelque chose de plus à raconter. Car à la différence de ses deux comparses, Attias ne se contente pas uniquement des bienfaits matériels que lui génère son larcin. Il aime jouer avec le feu quitte à se mettre délibérément en danger. Empreint d’un complexe d’infériorité patent vis-à-vis d’un beau-père qui dénigre aussi bien les méthodes dont il fait usage pour s’enrichir que sa propension à exhiber sa fortune, il n’a de cesse de vouloir prouver au monde qu’il en est le maître jusqu’à risquer de se brûler les ailes. Dès lors, pour l’arrogance dont il fait preuve, pour le narcissisme nauséabond qui transpire de sa personne, le mépris est le moins que l’on puisse ressentir à son égard.
Une mise en scène laborieuse
Une fois que l’on a dit cela et que l’on a loué les prestations impeccables de Niels Schneider, Ramzy Bedia et David Ayala, on peut regretter que la mise en scène de Xavier Giannoli ne se montre pas à la hauteur de ces portraits décapants. Certes, il était important que l’on mesure l'étendue de l'inconséquence de ces parvenus. Qu’un tel étalage de voitures, de « putes », de montres finisse par nous écœurer semble être un objectif tout à fait louable. Pour autant, il devient lassant d’observer ces trois lascars lancer à la volée des liasses de billets de banque ou ouvrir grands les bras quand ils entrent dans un lieu public pour signifier que le monde leur appartient. Passer un certain stade de répétitions, ces brèves séquences, souvent les mêmes, semblent dès lors avoir pour fonction de combler les vides narratifs. A défaut d’insuffler du rythme, elles nous procurent le sentiment que l’on affaire à une histoire s’avérant manquer cruellement de contenu pour supporter une si longue distance. Comme contre-point à cette « vie de débauche », Simon Weynachter, le magistrat qui s’est donné pour mission de coincer Attias et ses « amis », est plus souvent à la peine. Joué par un Vincent Lindon exemplaire de sobriété, cet homme intègre est le fruit fictionnel de plusieurs enquêteurs ayant participé à cette traque désespérée. Pour que l’on appréhende la complexité de l’affaire auquel il se trouve confronté, Gianolli se plaît à nous le présenter le regard sombre, fixant un tableau Vellada gribouillé de toutes parts. Normalement, ce genre de schémas est censé évoluer au cours de l’enquête. Là, il n’en est rien. Il est juste présent pour nous prouver que bon sang, la vie n’est pas facile tous les jours pour les épris de justice tels que Simon Weynachter.
Le problème Weynachter
Attardons-nous maintenant sur ce dernier personnage puisque c’est au travers de son regard que nous pénétrons au cœur de cette farce cynique. Il est la voix de cette histoire, celle qui nous explique les rouages des malversations de Fitous et de ses comparses ainsi que les freins qui ont empêché leur arrestation. Cette tâche, Weynachter s’en acquitte avec un sens certain de la pédagogie. Toutefois, à trop vouloir être compris de son auditoire, il finit par se répéter jusqu’à renforcer l’impression précédemment décrite de grand patinage dans la semoule. Par ailleurs, les scénaristes ont eu la mauvaise idée de l’affubler d’une fille junkie qui profite de sa culpabilité paternelle pour lui soutirer de l’argent. D’un point du vue narratif, cette relation nous apparaît tout simplement hors de propos. Il s’agissait peut-être de placer l’âpre quotidien de Weynachter à l’aune de celui des trois malfrats dont on nous rabâche qu’ils se vautrent dans la luxure. Ou encore de placer le pauvre magistrat dans cette catégorie surpeuplée d’enquêteurs si malheureux dans leur vie que le juste combat qui les anime revêt un caractère obsessionnel. Quoi qu’il en soit, jamais cette problématique personnelle ne parvient réellement à se rattacher à la trame principale ce qui participe au sentiment de vacuité qui l'accompagne. Cela serait moins dommageable si des parents juifs convertis au catholicisme après la guerre ne venaient encore alourdir le récit pour des raisons peut-être chères à Gianolli mais qui peinent à faire sens aux yeux du spectateur. Bref, à vouloir étoffer son personnage central, le réalisateur tend à nous perdre définitivement en route.
Bilan
Au final, « D’argent et de sang » a le mérite de pointer du doigt un système capitaliste surréaliste, capable de mettre en bourse des droits à polluer en vertu de principes écologiques dont certains pensaient naïvement qu’elles pouvaient se muer en valeurs marchandes. A la manière de Zola et de son « J’accuse » universel, Weynachter se lance dans un plaidoyer assez décapant sur les responsables de cette dérive qui en dit long sur la manière dont est régie notre économie. La série dresse également des portraits captivants de malfrats, certes cyniques et opportunistes, mais qui sont avant les produits de sociétés où l’argent est roi. Avec autant de qualités à porter à son crédit, il est dès lors désagréable de constater que le pouvoir de séduction de cette production engagée pâtit de choix de scénario et de mise en scène franchement discutables.
1 :https://fr.wikipedia.org/wiki Fraude_%C3%A0_la_TVA_sur_les_quotas_de_carbone