Dark
7.6
Dark

Série Netflix (2017)

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Si Netflix a perdu un peu sa réputation de fournisseur de séries de qualité, en misant d’avantage sur la quantité, il est bon de rappeler qu’elle héberge toujours en son sein des œuvres à la qualité rare. « Dark » en fait indéniablement partie.


Série de science-fiction allemande, « Dark » fait typiquement partie de ces productions atypiques de la plateforme, d’origine étrangère, qui auraient difficilement pu être diffusé ailleurs avec le même succès.
Il y aurait tant à analyser sur cette série, toutes les symboliques, les détails, les éléments cachés, la réflexion philosophique que la critique pourrait presque faire l’objet d’une thèse. Tentons malgré tout d’en faire sortir les points essentiels.


Dans une ville assez isolée, perdue en forêt, plusieurs enfants disparaissent mystérieusement. Une enquête est bien sûr en cours, mais l’affaire semble bien être beaucoup plus complexe et étrange qu’il n’y paraît, concerner une menace d’ampleur mondiale et surtout bouleverser totalement notre vision du monde.
Alors que se jouent des amours adolescentes, de vieilles rancœurs, que d’inquiétantes personnes œuvrent dans la ville pour des motifs inconnus, un troublant secret semble se cacher sous la ville.

Pour le comprendre, il ne faudra pas hésiter à remonter dans le passé…


Commencé comme un drame, avec ces histoires familiales, « Dark » revêt assez vite des oripeaux de science-fiction. Avouons-le tout de suite, il sera question de voyages dans le temps, un concept parfois casse-gueule mais exploité ici de manière cohérente et très intelligente.


La série possède une complexité et une ambition rares. Déjà par son foisonnement de personnages, obligeant le spectateur à retenir les noms, fonctions, et liens de parenté entre les différents protagonistes. Et aussi parce qu’à chaque fois que le spectateur progresse dans sa compréhension de l’histoire, la complexité se fait plus grande encore. Une lumière qui parait furieusement inaccessible alors que la taille du tunnel prend des proportions imprévues !
En effet, après les différents personnages introduits, il a fallu les découvrir à plusieurs époques, à plusieurs moments de leur vie.
Ensuite, il a fallu les suivre alors que chacun à leur tour, ils voyageaient dans le temps et perturbaient les lignées temporelles (saison 2). Et ce alors que le nombre d’époque concerné augmentait, passant de 3 en première saison, à 5 voire 6 par la suite !
Les plans et les véritables motivations de certains devenaient dès lors bien nébuleux, lorsqu’il apparaissait que les buts affichés étaient mensongers.
Et enfin, comme si ce grand nombre de personnages et ces voyages temporels ne suffisaient pas, est apparu une réalité alternative, où les événements ne sont pas produits de la même façon (saison 3) ! Autant dire qu’à ce stade, la complexité était telle qu’elle parvenait à perdre même le spectateur le plus assidu.
Pourtant, malgré cet imbroglio humain et temporelle, la série ne s’est jamais perdu en cours de route et a su proposer une conclusion cohérente, revenant sur toutes les intrigues, la destinée de chacun, et proposer une conclusion étonnante impossible à prédire, et qui conclut magnifiquement ce qui avait été commencé. C’est un véritable exploit scénaristique d’avoir su concevoir une histoire aussi tortueuse sans s’être mélangé les fils.


S’agissant de voyage dans le temps, thème chère à la SF, la série aborde de fait les notions de libre-arbitre et de destin.
Quel choix peut-il y avoir, quand ceux-ci ont déjà été fait ? Quand les actes sont déjà prévus et planifiés, par des forces supérieures ou des manipulateurs retors ? Sommes-nous condamnés à souffrir, à répéter les mêmes erreurs, dans un cycle sans fin ?
« Dark » mélange également bon nombre de situations de paradoxes temporelles connus mais tout en restant original, le tout mêlé à des situations de tragédie purement shakespearienne, où les personnages semblent fuir leur destin que pour mieux le rencontrer.
Une femme, qui ne désire qu’à être aimée, semble condamnée à se lier à des hommes mariés incapables de s’engager avec elle. Lorsqu’elle se détache de ses illusions, il est déjà trop tard…
Une autre en froid avec sa mère toxique, se retrouve malgré elle à l’affronter, telle une tentative d’avortement symbolique.
Tandis qu’un homme conçoit un enfant qui, sans le savoir, sera l’architecte de sa mort. Dans cet espace-temps perturbé, les règles s’inversent, l’élève devient le mentor de celui qui l’avait autrefois guidé.
Un homme hanté par la souffrance et à l’âme souillé, ne comprend que trop tard la manipulation dont il a été victime, juste à temps pour voir impuissant son jeune lui emprunter la même voie tâchée de mensonge et de sang.
Un jeune homme tente de dissuader son père d’un geste fatal, le poussant au contraire à se convaincre de la nécessité de cet acte.
Des personnes profitent de ces étranges voyages pour remercier, s’excuser des souffrances causées ou échanger une dernière fois avec leurs géniteurs, bien inconscient alors de ce qui les attend.
D’autres se mentent à eux-mêmes, se guidant volontairement vers la voix de souffrance qui a été la leur, persuadés de la nécessité de leurs actions.
Il y a un côté tragédie grecque, façon mythe d’Oedipe, avec ces être artisans de leur propre malheur.


Mélanger plusieurs époques permet en outre d’approfondir l’évolution des personnages, leurs drames et leur changement de caractère ; les rapports avec leurs parents, dont les enfants sont souvent bien loin de connaître toute leur histoire ; mais aussi les conséquences de leurs actes, pour eux comme pour leurs enfants.


Par amour, on peut faire des choix aux conséquences inimaginables… L’Amour si magnifique peut être source de grandes souffrances. Il peut aussi se transformer en haine. Chez l’humain, les deux se conjuguent, de manière parfois bipolaire, échappant à toute caractérisation et toute généralité. Enfants et parents censés s’aimer d’un amour inconditionnel s’affrontent, parfois fatalement. L’amour d’hier peut ne plus durer et accoucher d’un conflit irrémédiable.
Enfin, dans « Dark », on n’accède à la vérité et la lumière à un prix très élevé.
Dualité….
Amour et haine…
Homme et femme…
Parents et enfants…
Passé et futur….
Vérité et mensonge…
Ombre et lumière…
Bien et Mal…


Une fatalité ? N’a-t-on donc aucune marge de manœuvre, sommes-nous réellement destinés à subir les affres d’un destin implacable ? Sommes-nous capitaine impuissant d’un navire à la dérive face à une puissante tempête ?
Où existe-t-il une marge infime, tenue, où il est possible d’agir, de bousculer la roue du temps…
Trinité…
Passé, futur… présent
Amour, haine…paix, pardon
Bonheur, souffrance…apaisement, guérison
Homme, femme…couple
Vérité, mensonge…sagesse
Parents, enfants devenus parents, et petits-enfants…


La réalisation est à la hauteur de l’ambitieuse histoire. Ces enfants ou jeune ados pédalant dans cette grande forêt qui semble cacher de dérangeants secrets…cette grotte inquiétante…ces étranges individus qui n’en savent plus qu’ils ne le disent…un futur apocalyptique, annonciateur du désastre à venir… Alors que retentit cette musique lancinante quand on suit ces personnages perdus tentant d’y voir clair dans une situation qui les dépasse. Une impression de mystère opaque et indéchiffrable, qui n’est pas sans évoquer Twin peaks.
L’impact n’aurait clairement pas été le même sans son excellente distribution d’acteur. Que ce soit le mystérieux prêtre noir, le jeune homme à l’anorak jaune devenu marque distinctif, le vieil Adam, le Diable Blanc, le détective désabusé, cet enfant perdu dans une époque qui n’est pas la sienne, cette fille alors bienveillante qui ne veut que l’aider… Les acteurs rendent rapidement leurs personnages très attachants, pions impuissants dans des machinations cruelles qui obtiennent rarement un bonheur pourtant mérité, et où les manipulateurs mêmes sont manipulés.


Concepts scientifiques (Shrodinger, matière noire) et drames humains se mélangent dans cette foisonnante histoire, qui malgré toute sa complexité, est parvenu à captiver et maintenir l’adhésion jusqu’à son dénouement après 3 saisons qui tient toutes ses promesses.
Une complexité qui évite finalement d’être rédhibitoire, grâce à sa réalisation envoûtante, à ses personnages captivants, et avec juste ce qu’il faut de révélations, d’éclaircissements et de nouveaux mystères.


Les éléments de science-fiction ne sont finalement qu’un prétexte pour parler de la base de toute histoire : l’humain, en tant qu’être complexe, ambivalent, ses relations avec ses semblables, ses bons côtés comme les plus mauvais, les joies de la vie et les affres de la mort…


Une série marquante et inoubliable. Le genre de séries originales et de qualité et que l’on aimerait voir plus souvent !

Enlak
9
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Créée

le 21 mars 2021

Critique lue 303 fois

5 j'aime

Enlak

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