Il ne m'aura pas fallu longtemps pour succomber au désir brûlant d'élaborer un jeu de mots aussi piètre que facile à propos d'une série qui, finalement, est tout aussi piètre et facile que le calembour susdit. Non pas que je fus dès le départ complètement insensible au thème de la série, qui semble être celui de la justice et de la vengeance sociale, sujet bien cher à mon cœur, ni totalement hermétique aux thrillers ainsi qu'à leur rythme effréné, et à leur scénario parfois extravagant pour ne pas dire grotesque, mais je dus très vite me rendre à l'évidence : Dérapages n'est ni plus ni moins qu'une série française comme une autre, comportant tous ses défauts, et quasiment aucune qualité. Si le scénario est au début très efficace et prometteur, il se perd bien vite dans une sorte de drame social improbable, aux ressorts surprenants de bêtise, retombant très vite dans une espèce de mélasse narrative psychologique à l'académisme outrancier digne d'un mauvais téléfilm de France 3. Il faut s'imaginer une fusée envoyée à pleine vitesse dans la stratosphère s'écraser aussi vite dans une rizière bourbeuse : voilà l'effet que vous fera le scénario de Dérapages qui, s'il est brillant (encore qu'un peu surfait) dans les deux premiers épisodes, devient ubuesque dans les derniers, plongeant alors son spectateur dans l'ennui le plus profond et l'amertume de l'amant bafoué.
Comme dans toutes les séries françaises, l'échec de la mini-série de Ziad Doueiri provient de l'incompétence des acteurs. Si Eric Cantona ne s'en sort pas trop mal, c'est qu'il se contente d'être plutôt que de jouer : il suffit pour lui, sur un ton neutre, de lancer ses répliques avec son accent du sud-ouest en haussant plus ou moins le ton, et il paraît presque bon. Cette illusion provient en réalité du faible niveau des autres. Non seulement toutes les actrices sont mauvaises à en mourir, tellement niaises et plates que même Arielle Dombasle passerait aisément pour Jeanne Moreau en comparaison, mais je crois que je n'avais jamais vu Alex Lutz être aussi catastrophique. En jouant comme un iceberg cynique, il se figure sans doute incarner une forme de profondeur machiavélique, mais son charisme d'huître et sa voix de fausset ne font que relever son incompétence profonde, ainsi que son manque profond de nuances dans son jeu. Peut-être la forme est-elle le reflet du fond : si la cause est bonne et que le propos est juste, sa mise en oeuvre est proprement calamiteuse. N'est décidément pas Steinbeck qui veut. Il n'y a aucune nuance dans la mise en scène et la réalisation : le manichéisme ainsi que le manque de réalisme, à la fois du synopsis mais également de la peinture de la grande entreprise gâche tout. Alors que cette dernière est en effet un enfer, la caricaturer ainsi est alors à la fois triste et contre-productif, renforçant la méconnaissance des Français sur un sujet qu'ils méritaient pourtant de connaître. Je rêve d'un monde où les productions françaises sauront reproduire fidèlement ce monde infâme du capitalisme et du néo-libéralisme triomphant, mais ce monde paraît bien éloigné.
On pourrait gloser pendant des heures sur les multiples incohérences de la série, mais à la rigueur, elles sont la Loi du genre. En revanche, les erreurs sur la critique morale sont impardonnables. D'abord, et il convient de commencer par là, quiconque aura déjà vu un DRH devenir ouvrier à 50 ans pourra avoir l'honneur de me l'annoncer pour être le premier : cela est une méconnaissance incroyable de ce milieu, qui se reconvertit plutôt dans le tertiaire et jamais dans le secondaire. De la même façon, l'idée même d'un jeu de rôles (une prise d'otages), comme manière de recruter, est à la fois évidemment illégal, mais en plus complètement caricatural. C'est proprement un délire repris par le scénario comme une évidence et qui finit par dissimuler la véritable inhumanité de la Direction des Ressources Humaines, à la fois beaucoup plus cruelle mais aussi plus sournoise, se pâmant dans la Loi comme dans l'onde d'une rivière. Au final, et c'est peut-être là le plus grave, bien au-delà de la critique sociale et du fossé artificiel entre les personnages, il n'y a aucune différence culturelle et de langage entre les différents personnages, qu'ils soient prolétaires ou bourgeois. Seuls les décors ridicules de bidonville et les habits misérabilistes distinguent les protagonistes : c'est non seulement factice, mais même du mépris de classe. L'enfer est pavé de bonnes intentions, disait Pascal, il est surtout pavé de vrais bourgeois déguisés en faux prolétaires.