Une nouvelle série de Matt Groening, c'est peu de dire que c'est forcément un événement. Je dois beaucoup au géniteur de la famille jaune qui m'accompagne depuis désormais plus de 10 ans, donc évidemment, je suivais le projet avec attention. Projet destiné à Netflix, qui a décidément l’œil sur les gros coups (ou pas), Désenchantée nous propose de partir à Dreamland, royaume de contes de fées avec bien entendu l'acidité de Groening qui va avec.
L'occasion pour lui de ramener toute sa clique issue de ses deux précédentes séries, que ce soient les scénaristes (David X. Cohen, Bill Oakley et Josh Weinstein, J. Stewart Burns), les réalisateurs (Peter Avanzino, Wes Archer), les producteurs et les animateurs (l'animation de la série étant assurée par Rough Draft comme pour les deux autres séries). Et même les doubleurs, avec entre autres John DiMaggio, Tress MacNeille et Billy West pour la version originale. On ne change pas une équipe qui gagne, c'est bien connu. Que vaut donc cette excursion dans le royaume de Dreamland au cours de cette première saison ?
Désenchantée me fait plus penser à Futurama qu'aux Simpson en la regardant, je dois dire. On est plus proche de l'esprit un peu trash mais pas trop de la série futuriste, et puis le fait que Désenchantée se passe également dans un contexte différent que le présent dans un monde normal permet aux scénaristes de laisser parler leur créativité. Bienvenue dans un univers où se côtoient des elfes, des ogres, des sorciers, des démons et des fées prostituées. En une saison, on n'a pas encore eu pleinement tout le potentiel de l'univers dévoilé, mais ce qui est montré est efficace.
On suit dans cette série la princesse Tiabeanie dite "Bean", princesse rebelle, irresponsable et alcoolo, son démon personnel Luci, concrètement la version démone du robot Bender, que la mort fait rire et toujours à l’affût d'une remarque cinglante et pince-sans-rire, et l'elfe Elfo, personnage naïf ayant fuit son royaume peuplé d'elfes afin de pouvoir goûter à l'amertume du monde des humains. Si les personnages ne sont pas aussi attachants que la famille jaune ou que l'équipage du Planet Express, ils forment un sympathique trio et passer les épisodes en leur compagnie reste un petit plaisir. A mon sens tout de même, ça manque un peu de personnages secondaires marquants. Car les personnages secondaires jouaient un élément assez capital dans les autres séries de Matt Groening, en tout cas ils apportaient clairement quelque chose à leurs univers, ici on a quelques personnages secondaires chouettes (le sorcier, le roi) mais aucun n'est véritablement transcendant.
Là où Désenchantée marche également dans les pas de Futurama, c'est dans sa volonté d'instaurer une certaine continuité au fil des épisodes, ce qui n'empêche pas les épisodes plus anecdotiques (mais dont le moindre élément peut rester essentiel pour l'enchaînement des épisodes), mais on sent les liens qui se forment autour de l'histoire, et la présence d'éléments qui cherchent à intriguer et qui évoluent au fur et à mesure. Tout comme la série futuriste qui apporte des réponses à plusieurs questions au fil des épisodes et des saisons, cette première saison de Désenchantée nous laisse, à la fin, avec des éléments qui devront attendre une nouvelle saison pour être résolus. Et après une certaine salve d'épisodes allant du sympathique au très chouette, c'est bon de voir la série reprendre du vrai poil de la bête pour son diptyque final.
Entre la véritable raison pour laquelle le roi recherchait la fiole d'immortalité (au cous d'un flashback qui m'a fait retrouver le temps d'une scène toute la force de certains des meilleurs moments des deux autres séries de Matt Groening), le choix de Bean de laisser son ami Elfo sacrifié pour récupérer sa mère, la révélation sur cette dernière et le cliffhanger avec presque tous les habitants de Dreamland changés en statues de pierre, ça donne envie d'en voir plus à l'avenir.
Désenchantée a un aspect un peu plus sérieux dans son déroulement et on sent la volonté de Matt Groening de tenter quelque chose de neuf, ce qui ne l'empêche pas de garder ce qui fait sa patte, l'aspect mordant est toujours de mise (le speech sur la religion dans l'épisode pilote est très fendard) et son humour aussi. Les gags sont parfois un peu moins fins ou aussi bien trouvés que dans les deux autres séries mais de grandes envolées subsistent. Avec toujours ce sens de l'humour noir, des répliques cinglantes et des gags d'arrière-plan qui fait mouche. De grands moments sont à souligner comme cette virée dans la demeure d'Hansel et Gretel au cours de l'épisode 5, très Simpson Horror Show dans l'esprit. Parlant de ça, j'aime le fait que les protagonistes ne soient clairement pas toujours "propres" dans leurs actions, ça rajoute un certain cachet.
A cela s'ajoute une animation de très bonne facture, avec les traits reconnaissables de l'équipe de Matt Groening, et tentant comme Futurama une approche mi-2D mi-3D qui donne de la gueule à certains plans (même si la série futuriste représentait un plus gros défi technique en son temps et m'épate un peu plus visuellement). Et aussi, petit mot sur la VF de bonne qualité, un plaisir que d'entendre Christophe Lemoine pour le démon Luci, contribuant à merveille à son aspect caustique, ainsi que Michel Vigné et Michel Mella que je n'avais pas entendu depuis un petit moment.
Pour cette première saison, Désenchantée s'annonce plus fragile que ses aînées sur plusieurs aspects (le rythme n'est pas toujours impeccable même si, à sa décharge, les épisodes de la série avoisinent la demi-heure de durée), mais je n'en suis pas ressorti particulièrement déçu. Sûr que j'attendais beaucoup, on parle quand même d'une série de Matt Groening, mais je me doutais que ça ne frapperait pas aussi fort qu'un Futurama d'entrée de jeu, qu'on n'aurait pas autant de folie déployée. Et si je doute que je reverrai les épisodes de cette série aussi régulièrement que je revois la plupart des épisodes des Simpson et de Futurama, il n'empêche. Les 10 épisodes de cette première saison ont été un plaisir à suivre et j'ai hâte de voir ce que nous proposera la suivante. C'est le principal.