Soldats malgré eux

Infiltrés au cœur de la division des DP (Deserter Pursuit), nous suivons deux militaires dont la mission est d’attraper les déserteurs (nb : abandon de poste sans autorisation préalable de l'autorité militaire). Le générique du début annonce la couleur : En République de Corée, tous les hommes doivent accomplir leur service militaire comme prescrit dans la Constitution. Article 3 de la Loi sur le service militaire.

Le service militaire est ancré dans la culture coréenne, il fait partie des 4 devoirs constitutionnels avec l’éducation, le travail et les impôts. Passer à travers les mailles du filet est donc très mal perçu.
La Corée du Sud est toujours techniquement en guerre avec la Corée du Nord.
Tous les hommes sud-coréens valides âgés de 18 à 28 ans, doivent effectuer un service militaire pendant 2 ans, la période sera réduite à 18 mois d'ici décembre 2021.
Elle ne montre aucune indulgence envers ceux qui cherchent à y échapper. Celui qui refuse encourt jusqu'à 18 mois de prison.

Cependant, le pays a accordé des exemptions pour les musiciens classiques, les athlètes de haut niveau (médaillés olympiques ou champions aux Jeux Asiatiques). En gros, ceux qui contribuent à améliorer l’image et le prestige de la Corée à l’étranger seraient dispensés de service, à travers un système controversé.
Quant aux rois de la Kpop BTS qui font rayonner la culture du pays, la «Loi BTS» va juste leur permettre de repousser leur service militaire. Ils pourront s'engager à 30 ans pour profiter pleinement de leur carrière.

Le thème de l’armée est abordé sérieusement, sans édulcorer la réalité comme Descendants of the Sun (petit coucou au brushing impeccable de Song Joong-Ki).
Sauf erreur de ma part, c’est la première série qui ose lever le voile sur la face sombre de cette institution (vénérée). 

Les origines et différentes composantes militaires, le passif des personnages sont passés à la trappe. On aborde sans détour les insultes et brimades (gratuites) insoutenables.
Une noirceur enrobe les épisodes, où il manque un développement notable des déserteurs (cause/conséquence?). Chaque cas est survolé sans réelle profondeur.
S’ajoute à cela, une intrigue lente à se défaire et des redites. Je suis noyée dans un mic mac entre nos deux acolytes (dont on ne sait pas grand chose). 
Jung Hae-In d'un charisme stoïque, reste de marbre avec une diction robotique, tandis que son compère joue le clown de service pour «adoucir» le tout. Même si l’on devine à demi mots leurs états d’âme et détresse psychologique : Qui sont-ils? Pourquoi? Comment? 
Rien de tout cela n’est dévoilé (ou si peu).
Leurs missions s’enchaînent sur un rythme inégal, le tout est parsemé de quelques scènes “chocs” à l’issue prévisible. Quelles sanctions pour les bourreaux? Que deviennent ces objecteurs de conscience?

Un tas de questions défile dans ma tête. Résultat des courses : c’est le flou total. Le dernier épisode est un cran au dessus, mais le reste m’a paru sous-exploité.  

Quand la réalité est bien pire que la fiction, à titre d’exemple : 
Témoignages d'anciens soldats

Si vous souhaitez creuser le sujet, je vous recommande le livre de Young Chun : The Accidental Citizen-Soldier
Un lien vers son site où il met en garde les étrangers nés de parents coréens face à la complexité, voire l'incohérence, des lois coréennes : Young Chun Writer
Son cas hallucinant n'est pas isolé :
Né aux Etats-Unis de parents coréens, il est venu en Corée pour enseigner l'anglais. Il prévoyait de ne rester qu'un an. À la fin de son contrat d'enseignement, le gouvernement coréen le somme d’accomplir son service militaire obligatoire sous peine de prison (à sa grande surprise et son énorme désarroi). Il détient un passeport américain et, à l'époque, ne parlait presque pas coréen, ayant passé presque toute sa vie en Amérique.
Une bourde administrative a été commise (intentionnelle ou non?) : le registre familial patriarcal “Hojeok” mentionnait son lieu de naissance comme une banlieue de Séoul qu'il n'avait jamais visitée, plutôt que son vrai lieu de naissance à Champaign, dans l'Illinois.
Sur l'insistance du gouvernement, il s’est alors vu obligé de faire son service militaire dans des conditions effroyables. Il raconte les mauvais traitements (privation de sommeil, exercices physiques punitifs, l'humiliation constante d'être un non-coréen) dont sont victimes les conscrits, la violence et le sadisme de ses supérieurs.

Il y avait des violences physiques autour de moi, mais je n’en ai jamais été victime. Les violences dont j’ai souffert étaient psychologiques : on se moquait de moi en permanence parce que j’étais incapable de parler coréen.

C’est une nation qui fait face à ses démons, où la violence verbale et/ou physique (banalisée et occultée) plane en permanence dans tous les milieux: scolaire, conjugale, professionnelle, institutionnelle. 
D'ailleurs, un employé qui "répond" ou qui manque de respect à son supérieur hiérarchique sera recadré plus ou moins violemment. En Corée, l'autorité, on la respecte mais on peut aussi en mourir. Le terme "Gwarosa" en est la désastreuse illustration (mort dû à la surcharge de travail).

Un effet boule de neige, quand le harcelé devient harceleur. Avec des chiffres inquiétants : Chaque année, une centaine (plus ou moins) de sud-coréens meurent à l'armée. Deux fois sur trois, il s'agit d'un suicide. 

Ces derniers temps, des affaires de harcèlement sexuel ont secoué l’institution. Les femmes représentent moins de 10% des effectifs.

• Les suicides d’une officière de la marine et d'une sergente-chef des forces aériennes, victimes d'agression sexuelle d'un collègue. Cette dernière alerte immédiatement ses supérieurs, ceux-ci la dissuade de porter plainte. Elle avait formellement déposé une plainte, mais avait été contrainte de la retirer et d’accepter la négociation d’un accord.


• Une militaire transgenre a également mis fin à ses jours après avoir été limogé de l’armée suite à son changement de genre.

Ces cas abominables ont fait grand bruit, jusqu’aux portes de la Maison Bleue. Le Président sud-coréen, Moon Jae-In, s’est excusé «pour la culture rétrograde dans les casernes» en promettant une réforme de l’institution. 

Les agressions sexuelles ne sont pas les seules violences passées sous silence. Le chemin est encore long. Les mots de la sœur d’un déserteur suicidé en disent long

Pourquoi n’avez-vous rien fait quand il se faisait harceler?

Je vous laisse méditer cette dernière phrase.