Quand la morale se voit assassinée ...

Beaucoup de choses intéressantes ont déjà été dites ici : sur la réalisation, la photo, le suspens, les différentes intrigues au cours des saisons, etc. Tout ça est extrêmement bien mené. Je ne vais pas revenir dessus.

J'aimerais plutôt faire part de mon avis quant à certaines remarques négatives que j'ai pues lire, à savoir une sorte d'héroïsation amorale d'un serial killer. Il est vrai qu'au cours des premiers épisodes, je me suis demandée où le scénariste voulait en venir ... Est-ce tout simplement un plaidoyer pour la peine de mort, à la Ricaine ?! Quelle est notre perception et quelles sont nos limites face à un homme qui fait justice soi-même ? Mais mes tergiversations m'ont fait dire qu'il est davantage question ici d'une remise en cause de notre conception de la morale. Je pense que cette série en dérange plus d'un à juste titre parce qu'elle révèle la frontière tenue entre notre conception du bien et du mal. L'Homme possède en lui des pulsions animales, parfois morbides. Certains hommes se cachent derrière la loi pour les assouvir, d'autres brandissent des questions éthiques et morales. Finalement, par essence, qu'est-ce qui distingue un bourreau, un procureur qui réclame une peine de mort ou encore un militaire de notre tueur en série ? Tous écoutent les mêmes instincts macabres mais tous ne sont pas poussés par les mêmes motivations bien évidemment et surtout, tous ne se situent pas de la même manière au regard de la loi. Pour moi, Dexter montre toute la relativité du bien et du mal. Les Hommes sont face à leur libre arbitre. Certains décident de se laisser submerger par leurs pulsions, d'autres font des choix judicieux pour canaliser celles-ci, et enfin, tous s'inscrivent dans un environnement spécifique qui influe directement sur leurs actes et qui ne les préserve ni du premier cas de figure, ni du second.

D'autre part, j'apprécie l'évolution du personnage de Dexter au fil des 5 saisons car elle illustre l'idée que rien n'est immuable chez l'Homme. On assiste à une perpétuelle lutte entre son libre arbitre et ses instincts face à un milieu, à un environnement. A diverses reprises, la série montre dans quelle mesure ce dernier affecte-t-il l'Homme en général. Au premier abord, on peut trouver gentillet la révélation progressive des « sentiments humains » auprès de notre personnage tels que l'amitié, la rancoeur, la compassion, la jalousie et surtout la découverte de l'amour qu'il soit conjugal, fraternel ou encore paternel. Cependant, il me semble qu'il s'agit, bien au contraire, d'aller bien plus loin dans une critique du manichéisme légendaire américain. La famille à l'origine servant de couverture au tueur donne l'occasion de creuser le personnage et d'apporter une plus grande complexité. La noirceur des uns (bien entendu celle de Dexter, mais aussi celle de Miguel Prado, de Trinity, de Lumen) côtoient en permanence la candeur des autres, comme s'il était question d'établir un équilibre. Rita peut sembler cruche au premier abord mais la symbolique de l'ange face au démon a toute son importance dès lors que l'on considère que le démon est touché par l'ange et aspire à sa bonté. Tandis que l'ange est faciné par le mystère, l'obscurité qui se dégage du démon. Si l'un désire l'autre pour ce qu'il représente, lequel alors est le plus blâmable, dans la mesure où il faut répondre d'un sens moral ?

Le scénariste est également parvenu à faire de son protagoniste, un être perpétuellement tiraillé entre vouloir faire quelque chose de juste, de bon, d'éthiquement moral et les instincts primaires, ce qui renvoie chaque spectateur à sa propre condition. Dexter, malgré son profil de psychopathe, cherche à maîtriser son « hôte funeste » ( son « dark passenger » ) en suivant le « code », le symbole d'une règle éthique. Pour Harry, le père adoptif de Dexter, le code sert de garde-fou. Il y voit une manière de rétablir une justice, d'apporter une sorte d'honorabilité à un acte ignoble mais son dégoût face à la facilité à laquelle Dexter parvient à ôter la vie persistera malgré tout. A l'image du caractère arbitraire du code, nos lois, les règles de nos sociétés posent question. Comment l'Homme parvient-il alors à se positionner face à tout cela ?

Pour en revenir à la série, elle pose, selon moi, des questions philosophiques fondamentales sur la nature humaine, le fonctionnement de nos sociétés, la justice et les lois ou encore la morale, tout cela, bien sûr, sous l'égide d'un divertissement de haute qualité.

Contrairement à l'avis de certains qui trouvent qu'il y a eu une baisse de régime après la deuxième saison, je trouve que chaque saison parvient à se renouveler, que le suspens est toujours au rendez-vous. J'avoue qu'il y a des situations et des revirements un peu grossiers parfois, mais si on se laisse happer, cela reste extrêmement jubilatoire. J'apprécie par ailleurs cette capacité à révéler de multiples facettes, divers points de vue autour de ces mêmes thématiques.

Je tire mon chapeau à cette série, en espérant qu'elle sache s'arrêter à temps ...

[ Coup de coeur pour le générique, c'est une petite merveille. ]
Momodjah
9
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le 14 janv. 2011

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Momodjah

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