On s’y attendait presque à ce qu’Alfonso Cuarón réalise un jour sa série. Ça paraissait couler de source. Tant de réalisateurs et réalisatrices de cinéma y sont passés qu’on ne voit pas pourquoi Cuarón aurait échapper à la chose. D’autant que les plateformes de streaming sortent désormais le grand jeu pour pouvoir se payer les talents de tel ou tel metteur (et metteuse) en scène dans la création d’une mini-série (mais ça fonctionne aussi pour la création de films). Encore que Cuarón ne pensait pas à une série quand il s’est attelé à adapter le roman de Renée Knight (Révélée). Mais face à la structure narrative composite de l’intrigue, la durée, forcément limitée, d’un film lui a paru peu efficiente. La narration de Disclaimer oscillera ainsi, constamment, entre différents points de vue et différentes temporalités. Et tout se construira sur une succession de révélations, de (fausses) perspectives et de comportements divers face à une réalité sans cesse battue en brèche. Le point de départ ? Catherine Ravenscroft, journaliste d’investigation réputée, reçoit chez elle un livre et découvre, à sa lecture, qu’elle en est le personnage principal. Un livre retraçant un épisode particulier de sa vie, il y a de cela vingt ans, qu’elle a toujours tenu secret et qui implique la mort par noyade d’un adolescent, Jonathan Brigstocke, lors d’un séjour en Italie.
C’est d’ailleurs sa mère qui a écrit ce court roman, comme pour exorciser un deuil impossible dont elle ne se remettra jamais, et c’est son père, désormais vieux professeur mis sur la touche, qui ourdit une vengeance contre Catherine, qu’il tient responsable de la mort de son fils, et sa famille. Que s’est-il donc passé sur cette plage et dans cet hôtel en Italie ? Cuarón nous propose de partir à la recherche de la vérité à travers plusieurs strates du récit : la fiction même du roman The perfect stranger (l’absence de genre des noms en anglais est d’ailleurs intéressante. Qui est cet inconnu ou cette inconnue qu’évoque le titre du livre ? S’agit-il de Jonathan ou de Catherine ? De quelqu’un d’autre peut-être ?), la réalité d’aujourd’hui, des flashbacks et des voix off qui viennent commenter les actes et les pensées des personnages.
Sauf qu’il n’y a, in fine, aucune surprise dans le déroulé de l’histoire qui, sur sept épisodes, se contente d’enchaîner mystères dévoilés, certitudes ébranlées et twists attendus (et quelques invraisemblances, et quelques situations forcées aussi) sans jamais chercher à dévier d’une programmatique corsetée par ses impératifs narratifs. Si bien que l’on se doute, dès le départ, que rien ne sera établi, que rien ne sera sûr et certain jusqu’au dernier épisode, voire jusqu’à la dernière minute. Ce dernier épisode qui, justement, viendra rebattre toutes les cartes et, à la manière d’un Rashōmon, rejouer les événements sous un autre angle (celui de Catherine), plus sombre et plus terrifiant.
La grande affaire de Disclaimer sera donc là (au-delà de la question du regard et de sa position morale), ancrée en plein dans son époque : faire entendre la parole d’une femme trop longtemps mise en défaut et dont la valeur, la portée, la violence qu’elle implique, résonnent dans le vide, sont ramenées d’abord à des considérations patriarcales (qui s’incarneront dans les interrogations et les réactions de Robert, le mari de Catherine). Quant à la forme, tout est extrêmement (trop ?) travaillé, maîtrisé, ultra léché (en particulier la photographie, magnifique, d’Emmanuel Lubezki et Bruno Delbonnel). Là aussi, l’impression que l’esthétique de la série se retrouve assujettie à une nécessité d’absolu stylistique est patente. Non pas que l’on rechigne à la beauté, à la joliesse, mais il en résulte ici quelque chose de froid et de désincarné, quelque chose qui nous tient comme à distance et, pire que tout, nous laisse un rien indifférent au sort de ces femmes et ces hommes se débattant avec leurs défiances et leurs lâchetés.
Article sur SEUIL CRITIQUE(S)