Dispatches from Elsewhere est souvent maladroite. Parfois embarrassante. Prétentieuse, même, par accident. Et puis par moments, aussi, comme un uppercut au cœur : touchée par la grâce.
Mais au-delà de toutes les éloges ou critiques dont on pourrait la bombarder, l'accabler, l'acclamer, Dispatches from Elsewhere est sincère. Pas sincère "je suis franche", sincère "je fais ce que je peux dans le cadre qu'on m'a donné", sincère "dans la limite des stocks et photo non contractuelle"... Jusqu'au mot de la fin : sincère sans peur et sans armure, sincère sans retenue, ni regret, ni pudeur et jusqu'à l'exhibitionnisme. Sincère comme trop rarement une œuvre de fiction l'a été, sincère à s'en rendre ridicule, sincère à s'en faire mal, sincère à en être douloureuse, parfois. Audacieuse et grotesque. Lucide et complaisante. Différente. Délicate. Puissante en proportion.
Plutôt que de suivre le mouvement, de se laisser porter par l'inertie des modes, de coller aux tendances et remplir des quotas, Dispatches from Elsewhere prend son époque à contrepied, refuse le formatage, éclate les conventions - et advienne que pourra, tant pis pour les rires des cyniques et les huées des réfractaires, le projet est à l'image de ses personnages : d'un courage surhumain, d'une générosité totale, d'une aveuglante proximité.
Elle tente, peut-être trop tard, de nous rappeler à nous-mêmes, dans ce monde aliéné dont nous sommes les prisonniers volontaires. Et même : de nous rappeler que ce n'est pas ça, le bonheur, que ce n'est pas ça vivre, qu'il faut lever la tête - pas pour résister au joug des puissants mais juste pour regarder le ciel.
Au-delà, et il était temps, Dispatches from Elsewhere offre au progressisme sa première (et peut-être dernière) vraie série, pas un de ces monstres de Frankenstein cousus sur-mesure pour séduire un public certifié "coeur-de-cible", un de ces produits calibrés sur une base d’algorithmes et d'opportunisme déplacé, pas un Doctor Who, pas un Umbrella Academy, pas un Altered Carbon (et tant d'autres) qui se contentent d'une "représentativité" plastique creuse et condescendante, une forme de figuration idéologique sans plus d'envergure ni de pérennité... A l'opposé : une œuvre personnelle, intense parce que dénuée de calculs (sincère, c'est le secret), qui construit son propos, écrit ses personnages, les pense dans leurs moindres détails, leurs moindres failles, les emplit d'une vie propre sans jamais les réduire à des stéréotypes, parce qu'ils sont tellement plus que ça, parce qu'ils valent tellement mieux que ça - et avec eux, toutes celles et ceux qui doivent s'y reconnaître.
Dispatches from Elsewhere ne se contente pas de raconter ses protagonistes : elle les donne à sourire, elle les donne à aimer, jusqu'à ce qu'ils crèvent l'écran et votre coeur avec, partageant avec vous ce qui ne peut pas l'être le temps d'une communion qui n'a rien de fictive, pourtant.
Dispatches from Elsewhere, c'est l'anti-Twitter, c'est l'anti-Facebook et consors - sur ce plan comme sur beaucoup d'autres. Elle oppose à l'aigreur et au repli sur soi un optimisme sans concession, une foi suicidaire en des lendemains meilleurs, une volonté profonde d'unir, de rassembler, plutôt que de dresser les uns contre les autres en excitant les rancœurs.
On pourrait croire, alors, qu'elle pêche par angélisme, qu'elle est naïve, ou niaise, mais elle a sa noirceur, aussi, elle a ses ombres, ses ras-le-bol, elle n'oublie pas de quoi le monde est fait. A la fin de la journée, elle choisit simplement ce qu'elle souhaite en retenir.
Pour toutes ces raisons, Dispatches from Elsewhere n'est pas une simple série. C'est une déclaration d'amour.
Et même, sait-on jamais, c'est peut-être vous. Imaginez. C'est peut-être moi. Aujourd'hui, ou demain, peu importe.
Dispatches from Elsewhere, c'est un exemple à suivre.
Dispatches from Elsewhere, c'est rendre le monde meilleur.