En tant que documentaire "true crime", Don't F..k with Cats n'a rien de bien brillant.
Il applique bêtement un schéma ultra classique du genre qu'est l'alternance entre interviews de protagonistes liés au fait divers, restitutions cheaps d'actions vécus, et pièces à conviction glanées par l'enquête de police. A la rigueur, il peut faire office de compte-rendu relativement complet et ludique pour quelqu'un n'ayant pas envie de se farcir un article Wikipédia complet sur cette affaire.
Là où il devient en revanche plus intéressant, c'est quand il dessine en filigrane un tout autre portrait que celui de Luka Magnotta : le portrait de son époque.
Depuis un peu plus de dix ans aujourd'hui, les réseaux sociaux ont pris une place prépondérante dans la vie d'une grande partie de l'humanité. Facebook, Instagram, Twitter sont le déversoir quotidien de nos coups de cœur, nos coups de gueule, les photos de nos vies privées, et tout un tas de choses qu'on partage à nos auditoires plus ou moins restreints.
Et cette reprogrammation de nos existences autour de ces vecteurs s'est accompagnée d'une palanquée de névroses et de nouveaux comportements qui caractérisent aujourd'hui bon nombre d'entre nous.
Le narcissisme d'abord. Et ce besoin permanent d'exister à travers l'image qu'on renvoie, au point d'en être obsédé et de chercher de façon maladive de l'attention. Forcément, ça donne naissance à des Luka Magnotta, des individus psychologiquement fragiles qui dérapent dans la recherche de fame. Mais en vérité, il suffit d'ouvrir Instragram pour constater à quel point aujourd'hui le monde dégueule de ces personnalités. La seule différence entre elles et Luka, c'est qu'elles ont soit trouvé l'attention qu'elles cherchent, soit n'ont tué personne. Pour l'instant.
Les fouille-merde ensuite. Car la vérité, c'est que la vie de bon nombre de nos contemporains est relativement chiante et plan-plan. Pendant longtemps, il y avait les journaux people pour apporter un peu de piquant à la morosité de ces existences un peu vaines. Puis sont arrivés les réseaux sociaux. Cette mine d'or d'informations et d'étalage de vies privées est devenue le terrain fétiche de ces personnalités borderline. Dès lors, ont pu s'y épanouir les stalkers, les harceleurs, et tout un tas de personnes fascinées par la vie d'autrui. Vous reconnaitrez ici un trait caractéristique de nos deux protagonistes principaux du documentaire que sont Deanna et John. Mais ces deux-là sont aussi habités par un dernier biais psychologique, sans doute le plus dangereux...
Les super-héros d'Internet. Et c'est sans doute ces personnalités que le documentaire met en lumière avec le plus d'horreur. Les réseaux sociaux sont aujourd'hui le terrain d'action de tous les justiciers autoproclamés qui, tranquillement installés derrière leurs écrans, décident de faire justice pour réparer ce qu'ils jugent être des affronts. S'affranchissant de toute notion de droit démocratique et équitable, ils cherchent à traquer et punir coûte que coûte. La démonstration est sans équivoque, avec cette campagne de harcèlement numérique contre un faux Luka, qui entraînera probablement son suicide. Ou encore ce groupuscule de gros bras qui "venge les abus faits sur les animaux" en allant casser la gueule aux responsables. Et que dire de tous ces anonymes qui, par millions, vomissent leur haine de Luka Magnotta et appellent à le dépecer à son tour en place publique. Le véritable cancer de cette époque, le voici : des masses informes et gigantesques d'individus prêts à plonger dans les pires schémas de fascisme et d'auto-justice dès lors que leurs émotions sont chauffées à blanc par des images de torture de chatons (alors qu'ils sont certainement la grande majorité à engendrer des génocides animaliers quotidiens en participant à un spécisme global, mais c'est compliqué de faire son auto-critique...).
Ainsi, cette mini-série documentaire trouve ici son plus grand mérite, en dessinant les contours de ce que l'humanité fait de plus puant sous conditionnement des réseaux sociaux. Et même si l'enquête est un peu facile, parfois grossière dans ses effets, on est prêt à lui pardonner un peu pour ce qu'elle sait mettre en évidence (sans doute souvent malgré elle).
Mais c'était sans compter sur sa fin. Oui, parce que malgré ses airs de ne pas y toucher, Mark Lewis, à l'œuvre derrière ce film, a parfaitement saisi que sa série racontait un peu son époque, le narcissisme d'Internet, et la curiosité macabre des gens pour les faits divers. Et dans une ultime pirouette de mise en scène, Deanna Thompson, la justice warrior d'Internet, nous offre son plus beau regard caméra et adresse au spectateur un sentencieux : "Et vous, qui regardez ce putain de documentaire, êtes-vous complice ? Il est peut-être temps d'arrêter la machine !".
Toute la démarche du documentaire pouvait difficilement être aussi efficacement ruinée.
En pointant du doigt le public pour sa prétendue perversité et sa soif de sang, le réalisateur balaye d'un revers de main sa responsabilité d'auteur, le tout au travers du regard accusateur de son protagoniste principal, parangon de ce que les réseaux sociaux ont créé de plus malsain.
Et ça, c'était franchement pas très malin.